Depuis plus de 20 ans que je connais l’US Tyrosse, une question me taraudait : D’où vient le nom de « Saint Vincent de Tyrosse » ? Et c’est avec la complicité de Michel Duffranc que j’ai posé la question à Alain Ladebat, professeur à la retraite, passionné de l’histoire du Pays Tyrossais et amoureux de son patrimoine…
Et je pense (je suis sûr !) que beaucoup vont se régaler à lire ce qui va suivre, car « l’affaire » n’a pas toujours été simple à travers les siècles ! Vous apprendrez ainsi que le « Tyr », contrairement au « osse », souffre encore de quelques incertitudes, qu’un certain « i », pourtant parti en pôle position, s’est fait coiffer sur le poteau par un « y » sorti d’un chapeau, que le « Saint Patron Vincent » s’est vu confier une mission de la plus haute importance, et que « Saint-Vincent » et « Tyrosse » ont chacun essayé de tirer la couverture à soi avant de consentir, enfin, à leur union (sans pour autant régler tout à fait le problème des traits… d’union !). Oui Monsieur Ladebat, ce que vous m’avez offert est un véritable trésor, et je vous en remercie infiniment…
Bonjour Monsieur Ladebat, nous sommes nombreux à vouloir savoir d’où il vient, ce nom de « Saint Vincent de Tyrosse »… Pouvez-vous éclairer notre lanterne ?
Pour cela nous allons bien évidemment devoir faire un tour dans le passé ! Le premier nom apparu sur un document écrit serait « Tirosse », mentionné dans un acte de mariage datant de 843 qui nous apprend que Fortaner, Vicomte de Maremne, épouse Miramonde de Louvigner, celle-ci lui apportant en dot la terre de Mazerolles.
Le mariage est effectivement indiqué à « Tirosse », mais Francis Hirigoyen, dans son « Histoire de la vicomté de Maremne », émet de prudentes réserves sur la date, qu’il verrait plus tardive…
Ce mariage aurait donc eu lieu dans la première église de l’ancienne paroisse, regroupant Tirosse et Saubion, sur le monticule Tourren, près des maisons de Bieule. Cette vieille église a disparu vers les XIIème ou XIIIème siècles, remplacée par les églises respectives de Saubion et de Saint Vincent de Tyrosse.
Autant « Saint Vincent » semble assez facile à comprendre, mais « Tyrosse », c’est un peu bizarre comme nom… Etymologiquement, on peut l’expliquer comment ?
Nous reviendrons en effet un peu plus tard sur « Saint Vincent », et occupons-nous pour l’heure de « Tyrosse », qui nous donne à lui seul pas mal de fil à retordre…
Il y a une hypothèse possible, mais malheureusement invérifiable !, qui voudrait que la première syllabe de Tyrosse, « Ti », vienne du nom d’un propriétaire terrien, un dénommé « Titus ». Ainsi, le « domaine de Titus » serait-il devenu « domaine de Ti », traduit en « Tiros » ???
Dans son « Dictionnaire toponymique des Landes » qu’elle a écrit en 2005, Bénédicte Boyrie-Fénié propose quant à elle un dérivé de « tira » (chemin, sentier servant au transport des troncs d’arbres), issu du verbe « tirar »… Pourquoi pas ? Après tout, il est vrai que la commune a prospéré au XXème siècle avec la voie ferrée et la route.
Par contre, l’interprétation « tire rosse », en accédant au plateau entre Souque (ruisseau de Lassalle) et Piouguit, semble bien plus farfelue !!!
Notons que le « y » de Tyrosse apparaît pour la première fois dans une délibération municipale du 31 octobre 1811… Est-ce dû à une erreur, à une enjolivure faite sciemment par un fonctionnaire zélé… Nul ne le sait ! Mais suite au passage en force de son concurrent, le « i » revient à la charge dans un ultime soubresaut (ndlr : le chant du « signe » ?), puisque « Tirosse » réapparaît de 1820 à 1824, avant d’abdiquer définitivement au profit du « y »… Ainsi « Tyrosse » l’emporte sur « Tirosse », pour la postérité !
Bon, on se rend compte que l’origine du suffixe « Tyr » n’est pas gagnée et qu’elle est susceptible de faire couler encore beaucoup d’encre… Les choses sont-elles plus simples pour le suffixe « osse », ou est-ce que là aussi on tombe sur un… os ???
(Maremne veut dire « maritime »), et donc là les choses paraissent effectivement plus simples que pour le préfixe « Tyr »… En effet, on retrouve la terminaison « osse », ou un de ses dérivés, dans bon nombre noms de lieux et de communes du pays, comme : « Tosse », « Josse », « Seignosse », « Pays de Gosse », « Soorts », « Angresse », « Benesse »,…Il est d’origine gauloise ou gallo romaine, pouvant signifier : « domaine de… », « chez…. » (ce qui explique que plus haut le « domaine de Ti » soit devenu « Tiros »…). Ainsi, pour l’expliquer, les historiens remontent jusqu’aux Cocosates, une des tribus gauloises du pays de Maremne, voisine des Tarbelles, qui vivait là avant l’arrivée des Romains (ndlr : les Tarbelles sont les gaulois Dacquois…).
Voilà qui est donc fait pour « Tyrosse », mais alors, quand « Saint-Vincent » apparaît-il ?
Le nom de « Saint Vincent » apparaît vers le 10ème siècle, quand Saint Vincent de Saragosse, diacre et martyr du 3ème siècle, se popularise en France, surtout dans les pays de vin, en particulier en Bourgogne, où une coïncidence lexicale séduit : « Vin-cent », c’était à la fois le « vin » de la messe et le « sang » du Christ…
Pourtant, en pays de Maremne, pour un Saint Vincent, saint patron des vignerons, notre vin n’était pas fameux ! Mais on en produisait et on s’en contentait, chaque ferme avait sa vigne, et comme partout, on ne savait pas très bien le conserver… Il fallait donc s’en remettre au « saint patron » Vincent pour qu’il veille sur le précieux breuvage !
L’église étant dédiée à Saint-Vincent, la paroisse en prenait donc logiquement le nom.
Et ensuite alors, comment ont-ils traversé les âges, « Tyrosse » et « Saint Vincent » ?
Dans les cartes et documents de la fin du Moyen Age et de la Renaissance, apparaît, avec la graphie de l’époque, tantôt « Saint Vincent », tantôt « Tirosse », ou « Tirossa », comme dans le précieux cartulaire de la cathédrale de Dax, le « liber rubeus », le livre rouge du XIème et XII siècles, qui recense 300 paroisses du diocèse.
Ce même manuscrit cite aussi la paroisse « Sanctus Vincentius de Maredme ». Jean-Jacques Bellocq a trouvé dans les « Registres Gascons de 1525 », le nom « Sent Visens de Tirosse ». Il a aussi trouvé « Saint Vincent en Maremne » et même relevé une fois… « Saint Vincent en Saubion »…
Contesté par les puristes, « Semisens » est quant à elle la traduction orale de « Saint Vincent » en gascon, différente de la vraie écriture occitane : « Sent Vincenç ».
Pendant la période révolutionnaire anticléricale, la ville s’appellera, du temps des sans-culottes anticléricaux, « Vincent de Tirosse ».
Mais bien vite, la ville reviendra à son nom multiple : « Saint Vincent de Tyrosse », ce qui n’empêchera pas les locaux d’user de raccourcis, amputant fréquemment une des deux parties. Pour les uns, ce sera « Saint Vincent » (exemple : panneau mis sur la gare : « Saint-Vincent »), alors que pour d’autres ce sera « Tyrosse » tout seul, pour des raisons publicitaires, comme sur les affiches ou sur les maillots sportifs (« US Tyrosse »)… Ou parce qu’on nomme les habitants, les « Tyrossais » !
Merci beaucoup pour toutes ces explications Monsieur Ladebat mais… Il reste un dernier point à régler, non ?
Oui ! Ce dont chacun est aujourd’hui convaincu, c’est que le nom complet, « Saint Vincent de Tyrosse », est l’héritage de l’histoire locale.
Mais il y a en effet encore une question à résoudre : Faut-il ou ne faut-il pas, un trait d’union ? Et même, combien en faut-il ? Doit-on écrire « Saint Vincent de Tyrosse » ou « Saint-Vincent de Tyrosse » ou encore « Saint-Vincent-de-Tyrosse » ???
Ainsi l’histoire n’est pas finie, mais quelle importance ?… Après tout, nous avons un millénaire devant nous pour décider !
Interview : Frédéric Poulet
Illustrations : Panneaux ville : FP / Saint-Vincent : Fotolia / Documents d’époque fournis par A. Ladebat
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