Alors qu’ils survolaient la Bretagne dans les années 60, les Dieux du Rugby furent intrigués par quantité de poids et de disques dans les airs, lancés avec force depuis le Brest Université Club Athlétisme, et ils voulurent en avoir le cœur net…
Et comme ils savent tout, ils ne furent pas longs à mettre un nom sur le lanceur en question, scellant ainsi son destin en Ovalie… Et quel destin ! C’est à Bègles qu’Yves Appriou fera à 20 ans ses classes de rugby au plus haut niveau, avant de partir à Salles vivre de belles épopées. Et quand quelques années plus tard il revient comme entraîneur cette fois au CA Bègles Bordeaux Gironde, c’est pour aller toucher le Bouclier de Brennus ! Une vie de sportif, une vie de rugbyman, qui donnera aussi naissance, grâce à une belle rencontre, à « Drop de béton »… Parce que le rugby fait partie intégrante de sa vie et qu’il veut le partager avec le plus grand nombre… Merci Yves !
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Bonjour Yves, d’où es-tu originaire, et dans quelles circonstances le rugby est-il entré dans ta vie ?
Brest, Finistère (29)
Je suis né à Brest, à la pointe de la Bretagne, et j’ai été élevé dans un environnement laïc, dans lequel mes grands-parents maternels, tous deux instituteurs, tenaient une grande place. Non seulement m’ont-ils permis d’être assidu aux études et de m’ouvrir très jeune sur le monde, mais ils m’ont également toujours incité à la pratique du sport.
Comme j’avais quelques prédispositions pour les activités physiques, j’ai très tôt été repéré par les profs de Gym du Lycée de Brest, et voilà qu’à 12 ans, sous l’effet combiné « grands parents / profs », je découvre l’athlétisme au Brest Université Club… Une très belle rencontre, qui me permet de me spécialiser très vite dans les disciplines de lancers, notamment le poids et le disque. En cadets, je pulvérise le record de Bretagne du poids, en lançant à 16,80 m (je me demande d’ailleurs si après toutes ces années je ne le détiens pas encore ce record!!), et je suis champion de France scolaire en épreuves combinées.
Jusque là, je ne t’ai pas encore parlé de rugby, car j’en étais complètement éloigné, et c’est à peine si à cette époque j’avais déjà vu un ballon ovale. Mais tout va s’accélérer et il va commencer à apparaître dans ma vie, entre 17 et 18 ans, avec la rencontre, au CREPS de Dinard (que j’avais intégré pour suivre la voie du professorat d’EPS), de Monsieur Taponi, le prof qui encadrait les sélections régionales d’athlétisme (en particulier les lancers) et de… rugby ! Et bien sûr, Monsieur Taponi me fait l’éloge de ce sport magnifique … Bref il me passe la « 1ère couche »!
Et la « 2ème couche » arrive sans tarder, à Bordeaux, lors d’un Championnat d’Athlétisme Inter universitaire qui oppose le CREPS de Dinard au CREPS de Bordeaux. A cette occasion, je suis en effet repéré par… Pierre Marrens, le CTR Rugby du Comité de Côte d’Argent de l’époque. En quittant la compétition, il me dit : « Tu vas recevoir très vite un courrier d’André Moga… ». Et quelques mois plus tard, à la rentrée 68, j’intégrais conjointement le CREPS de Bordeaux pour y effectuer ma 3ème année de licence… Et le CA Bègles pour y jouer au rugby!
Et ensuite, entre le rugby et toi, il s’est passé quoi ?
Comme je débute le rugby, je joue donc en réserve durant la saison 68/69, à l’issue de laquelle le CA Bègles est Champion de France. Et puis, la saison suivante, à 21 ans, j’intègre l’Equipe 1ère pour prendre le relais de Michel Chagnaud, qui mettait un terme à sa carrière de 2ème ligne… Tout est allé très vite pour moi, je suis passé en un éclair du « non rugby », au rugby du plus haut niveau de l’époque !
Parallèlement, je continue de faire de l’athlétisme au B.E.C. (Bordeaux Etudiants Clubs) Athlétisme, où j’avais rejoint son équipe de lanceurs. Le B.E.C. était un club très performant, où j’ai côtoyé, entre autres, Patrick Bourbeillon, très grand sprinter qui fut champion d’Europe avec le 4×100 mètres Français à Athènes en 1969, et qui, malheureusement, vient de nous quitter récemment.
Un de mes premiers matchs en 1ère se passe à Béziers… Le CA Bègles est donc le Champion en titre, et Béziers est en 69 une équipe qui se forge, et se destine à dominer sans (grand) partage le rugby français dans la décennie suivante… Un match très chaud où nous prenons une grosse « branlée » ! Nous perdons rapidement notre talonneur, Christian Swierczinski, blessé à l’issue d’une première mêlée « virile » où les Biterrois avaient lancé les hostilités… Et comme à l’époque il n’y avait pas de remplaçants, je monte en pilier gauche, en alternance avec Louis-Michel Traissac, mon compagnon en 2ème ligne… C’était la guerre sur toutes les mêlées, et on est rentrés marqués de l’Hérault, dans tous les sens du terme !
On attendait donc tous le match retour à Bègles avec impatience, et mes coéquipiers de l’époque m’avaient chauffé à blanc durant toute la semaine précédant la rencontre. Bien entendu, le match a tenu toutes ses promesses, et on vivait le 2ème acte de la guerre entre Biterrois et Béglais enclenchée au match aller. A la 20ème minute, mon pilier droit, Claude Violin, me fait savoir qu’il s’écarte… Usant alors de tout mon savoir faire de lanceur de poids, j’envoie en 2 temps le talonneur et le pilier adverses au tapis… Je venais de gagner mes galons auprès du public Béglais qui ce jour là a longtemps scandé le nom de « Appriou… » à Musard… L’athlète venu de Bretagne venait de gagner ses galons de rugbyman en Aquitaine, et, sur une phase de jeu mémorable, j’étais définitivement adopté…
J’ai joué au CA Bègles jusqu’en 73, année où le groupe a éclaté car c’était la fin d’un cycle. Je suis alors parti à Salles avec mon ami Benoît Berthe, excellent 3ème ligne, avec qui j’étais arrivé le même jour au club… Benoît avec qui je partage depuis ce temps là une immense amitié, car nous nous sommes toujours suivis par la suite.
A l’époque, l’U.S. Salles montait en 1ère division, une période où il y avait 64 clubs dans l’élite du rugby français, répartis en 8 poules de 8… Salles, un village de 3000 habitants dans ces années-là, qui joue contre Perpignan, Béziers (à nouveau !) et tous les « gros » du moment… Des choses que tu ne peux plus voir maintenant dans le rugby moderne.
Au total, je ferai 14 saisons sous les couleurs de Salles, comme joueur, puis joueur / entraîneur, jusqu’en 87… Avec des hauts et des bas, en Groupe A, en Groupe B, une redescente, puis un titre de Champions de France de 2ème division en 81, puis à nouveau le Groupe B… J’ai vraiment vécu une belle histoire de rugby et de partage avec l’U.S. Salles.
Et puis en 87, je reçois un coup de fil d’Auguste Ayphassorho, qui m’appelle à la demande d’André Moga, pour venir entraîner le CA Bègles-Bordeaux… Et me revoilà donc dans ce club, que je rejoins pour une 2ème tranche de vie commune, extraordinaire, car nous serons Champions de France en 91, en battant Toulouse 19 à 10 au Parc des Princes… Avec une magnifique équipe composée des célèbres « Rapetous » Gimbert, Moscato et Simon, et des André Berthozat, Christophe Mougeot, Bernard Laporte, Christian Delage, Christophe Reigt, William Téchouyeres, et tous les autres… Pour arriver à ce résultat, nous avions réussi à réaliser un excellent cocktail de joueurs issus du « crû » Béglo-Bordelais et de l’extérieur, pour constituer au final un groupe qui sortait de l’ordinaire dans le contexte rugbystique de l’époque, un groupe qui a énormément fonctionné à l’affectif.
Résumé de la Finale 91 Bègles – Toulouse
Dans ces années là, on était en train de quitter le rugby amateur, on sentait bien qu’on allait passer à quelque chose d’autre, à un nouveau modèle économique qui commençait à se mettre en place. C’était vraiment une époque charnière, où rien n’était encore stabilisé dans le contexte professionnel dont on pressentait qu’il allait prendre place. Malgré les nombreuses propositions que j’ai eues pour devenir entraîneur professionnel en France ou à l’étranger, j’ai finalement préféré, à la quarantaine bien passée, privilégier ma carrière universitaire et de prof, qui était déjà tracée pour moi… J’ai donc fait le choix de la famille et du métier.
C’est dans ce contexte que je quitte le CA Bègles Bordeaux, et que je rejoins l’AS Mérignac Rugby, tout proche, que je vais entraîner pendant 3 ans, de 94 à 97. Serge Simon signe également dans ce club, et nous jouons pendant 2 ans la montée en 1ère division, mais nous sommes finalement sortis in extremis en ½ finale par le PUC, coaché à l’époque par Daniel Herrero. Et c’est à Mérignac que je fais une nouvelle belle rencontre, celle de Jean-Claude Lacassagne, alors Secrétaire Général du club, avec qui nous cofonderons l’association « Drop de béton ».
Et Il y a 18 ans donc, en 1997, tu créais effectivement avec Jean-Claude Lacassagne, l’association « Drop de Béton »… Tu peux nous parler de la genèse de cette aventure?
on constatait qu’il n’y avait pas grand monde à l’école de rugby, et que des quartiers entiers de Mérignac, notamment des quartiers populaires dans lesquels il y avait pourtant beaucoup de jeunes, n’étaient pas du tout concernés par ce sport. On est donc partis avec notre petite camionnette faire des animations de séances de rugby au pied même des immeubles… C’est comme ça que ça a commencé. Nous défendions l’idée qu’il faut aller à la rencontre des jeunes (aussi bien les filles que les garçons, bien entendu), au plus près d’eux, dans leur environnement quotidien, pour leur proposer de découvrir cette merveilleuse activité qu’est le rugby. Au fil des ans, nous avons ensuite proposé d’autres activités à ces jeunes, notamment l’été avec un concept de rugby à la plage.
Très vite, nous nous sommes également rapprochés du monde du Handicap, qu’il soit d’ordre physique (nous avons notamment une section de rugby fauteuil au sein de « Drop de béton »), ou qu’il concerne des jeunes et adultes en situation de handicap mental, psychique et/ou présentant des troubles du comportement. Nous réalisons de grandes choses ensemble, au travers des activités de découverte et de pratique du rugby que nous leur proposons.
Un autre point que nous nous attachons aussi à développer au sein de « Drop de Béton », c’est de faire comprendre la nécessité des règles du jeu et de la fonction d’arbitre. C’est un projet que nous menons avec la maison d’arrêt de Gradignan, dans le cadre de la réinsertion des détenus.
Partis de Gironde, nous avons essaimé dans les 5 départements Aquitains, avec en point d’orgue, entre autres, le Challenge « Aquitain Urban Rugby », que nous organisons chaque année sous l’égide du Conseil Régional… Mais je laisserai à Jean-Claude le soin de te parler plus en détail des actions que nous menons au sein de « Drop de béton » et de notre mode de fonctionnement.
Site Internet de Drop de béton
Finalement, Yves, le rugby, il t’a appris quoi dans ta vie d’homme ?
Comment vais-je te dire ça… Le rugby, c’est plus que ma vie d’homme… C’est quelque chose qui est intimement en adéquation avec l’éducation que j’ai reçue, une notion de partage et de « faire des choses ensemble ». Le rugby m’a permis, je crois, de révéler de belle façon quelque chose qui faisait complètement partie de moi, et de l’extérioriser.
Au rugby, on est tellement tributaires les uns des autres… Quand tu joues devant et que tu t’es ouvert en 2 pour sortir un ballon, que tu vois ton ¾ aile marquer un essai, qui est ensuite transformé par ton arrière qui vient finir le boulot… C’est la plus grande des joies ! Tu es alors prêt à « recevoir » à nouveau, en sachant bien que les adversaires essaient de faire la même chose, et c’est parce que tu sais que c’est difficile, qu’il y a un respect quasi automatique pour l’adversaire dans le rugby, y compris dans le rugby professionnel, malgré les dérives inévitables amenées par l’argent.
Ce qui me préoccupe le plus dans ce rugby d’élite, compte tenu des enjeux financiers qu’il représente, ce n’est pas ce qui se passe sur le terrain… Je dirai que c’est plus ce qui se passe avant, au niveau de la préparation des joueurs. Compte tenu de mon parcours de prof d’EPS, c’est un sujet qui est pour moi de la plus haute importance, et sur lequel je travaille ardemment au sein du Comité Olympique.
Et puis, même si l’élite du rugby s’est professionnalisée, il y a toujours le rugby amateur, des séries régionales à la Fédérale 1 (niveau qui est devenu la frontière entre rugby amateur et rugby pro avec les débats d’actualité que l’on connaît à ce sujet)… Ca c’est un rugby dont on ne se coupera jamais, car il est le gardien des valeurs ancestrales de notre sport.
Tu es né à Brest, tu vis à Talence, le Breton est-il devenu Aquitain ?
Talence, Gironde (33)
Mon épouse Annick et moi avons bien évidemment toujours nos racines en Bretagne où nous retournons très régulièrement pendant les vacances, mais nous sommes installés en Aquitaine depuis si longtemps maintenant, et nous sommes investis ici dans une multitude d’activités… Alors je dirais qu’on a un pied en Bretagne, un pied en Aquitaine, et la tête dans les 2… Et ce « métissage territorial », qui est une chance je trouve, c’est finalement au rugby que nous le devons… C’est lui qui m’a amené ici… Pour résumer, je peux dire que grâce à lui, je suis un Breton de cœur, devenu Aquitain d’action !
C’est ton ami Jean-Louis Martegoute, que tu as connu à Salles, qui t’a transmis le « ballon Puissance 15 »… A qui le transmets-tu à ton tour pour le faire vivre ?
D’abord, je remercie Jean-Louis, avec qui j’ai passé de magnifiques moments à Salles, pour cette ouverture en ma direction, et je vais à mon tour lancer le ballon à Jean-Claude Lacassagne, mon coprésident au sein de « Drop de béton ».
Site Internet de Mérignac Rugby
Interview : Frédéric Poulet
Photos : Photo « Une » d’Yves: YA / Port de Brest : Fotolia 43142392 / Photos « rugby » : Archives YA et site internet CABBG / Photos Drop de béton: site internet Drop de béton
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