Dans le monde tel qu’il va avec son lot de déséquilibres entre pays économiquement développés et ceux qui le sont moins ou peu, la solidarité internationale à toute sa place, sa légitimité et sa « nécessité ».
Et parce qu’il est amoureux de son île natale, et qu’aider des gens engagés pour les autres à mieux atteindre leur objectifs donne un sens à sa propre vie, Paul Hibon, créateur d’Evaluation Sud, fait de la Réunion, mission après mission, une plate-forme de compétences reconnue en matière de développement humanitaire… Et ça n’est pas fini !
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Bonjour Paul Hibon, quelle est la mission d’Evaluation Sud, et quels sont les principaux partenaires avec qui vous travaillez ?
Evaluation SUD est un cabinet de consultants qui intervient dans l’appui aux programmes de solidarité internationale.
Les missions à l’international représentent environ 60% de notre activité. Nos clients sont des bailleurs internationaux (Union Européenne, AFD, Coopération Technique Belge, etc…) et des ONG (Handicap International, Croix-Rouge, Entrepreneurs du Monde, etc…).
Nous intervenons, et c’est passionnant, dans des contextes et des domaines variés : formation professionnelle, appui aux TPE/PME, micro-finance, insertion de populations vulnérables, éducation informelle, violences faites aux femmes, prévention de la délinquance, développement communautaire, gestion des risques de catastrophes, etc.
Nous réalisons 4 grands types de missions :
– Conception de projets de développement (écriture, étude de faisabilité, programmation)
– Appui à la mise en œuvre de projets (formation, coaching, études)
– Evaluation des politiques et des projets de développement
– Capitalisation des expériences
Hormis l’international, Evaluation SUD intervient également à La Réunion, en appui à des structures et des équipes engagées sur des projets à vocation sociale ou humaine. Les clients sont des acteurs publics (Etat, collectivités locales, organismes parapublics), des organismes de développement (Missions Locales par exemple) et des acteurs de l’économie sociale et solidaire (associations, coopératives et entreprises menant des projets sociaux).
Ainsi, nous accompagnons localement des structures dans leur stratégie, dans leur organisation, et sur des problématiques humaines (coaching individuel et collectif). Nous réalisons aussi des études, que nous voulons pratiques et intégrant des recommandations pouvant être mises en œuvre (projets de territoire, évaluation de dispositifs publics, etc).
Ce qui est important pour moi dans toutes nos interventions, c’est ce qui se passe concrètement sur le terrain. C’est la manière dont le projet répond aux besoins des bénéficiaires, atteint ses objectifs, utilise au mieux les moyens qui lui sont alloués, provoque le plus d’effets à long terme, et la manière dont les activités peuvent se poursuivre une fois que le financement initial est terminé.
Quand, et pourquoi avez-vous créé cette activité ? Quel avait été votre parcours jusque là ?
J’ai créé Evaluation SUD début 2010 pour revenir à mes premières amours et exercer une activité qui ait du sens pour moi : aider des gens engagés pour les autres à mieux atteindre leurs objectifs. Et aussi faire de La Réunion une plate-forme de compétences dans la solidarité internationale.
Après une formation en management (ESCP), j’ai travaillé dans le secteur privé (communication, export) avant de prendre un virage à 180° vers le développement humanitaire. J’ai alors monté des projets de développement aux Philippines et au Brésil (micro finance sociale). Je suis aussi intervenu en appui à d’autres projets en Afrique, en Amérique du Sud et en Asie.
Puis vint pour moi l’appel du « terroir » : de retour à La Réunion, je me suis impliqué dans l’insertion économique, puis dans le développement du territoire. Mon quotidien était fait d’attraction d’investissements internationaux, d’accompagnement de centaines de projets économiques, de structuration de filières économiques, ou encore de stratégie de développement de l’île. J’ai dirigé l’Agence de Développement de La Réunion pendant 10 ans.
Parmi toutes celles effectuées, pouvez-vous nous faire part de quelques missions qui vous ont particulièrement marqué ?
Les missions menées sont généralement toutes passionnantes, et je vais par exemple vous en faire partager 2 ici :
La première s’est déroulée en République Démocratique du Congo, où je suis intervenu 3 fois sur la mise en place d’un ambitieux programme de lutte contre les violences faites aux femmes. Avec une équipe multidisciplinaire, j’ai d’abord fait le bilan de tout ce qui avait été mené sur cette thématique et travaillé sur les racines du problème avec une anthropologue. Nous avons ensuite conçu et rédigé un programme de 26 Millions d’euros.
Enfin, nous avons réalisé l’étude initiale (la « photographie » de départ) qui permettra de mesurer ce qui aura changé au terme des 4 premières années d’activité. Les facteurs de violence sont à la fois issus de la pauvreté, des coutumes, du manque d’éducation, de conflits armés, des carences des services publics, etc.
Dans ce pays complexe, qui compte 400 langues et 70 millions d’habitants, proposer une évolution du rôle de l’homme et de la femme a été un challenge passionnant, mais aussi émouvant, perturbant, décourageant et encourageant à la fois, et je suis passé par toute une palette d’émotions.
L’important dans ce type de contexte est pour moi garder la foi bien chevillée au corps. Plutôt que de revenir constamment aux horreurs et injustices, j’ai choisi d’axer mon regard sur toutes les initiatives positives et courageuses de femmes et d’hommes engagés, au péril de leur confort et de leur sécurité. Ils contribuent, goutte après goutte, à construire un monde meilleur.
La seconde mission que je souhaite évoquer s’est déroulée dans l’Afrique des Grands Lacs, au Burundi, où je suis intervenu sur la conception et la mise en place d’un programme de pavage de routes à haute intensité de main d’œuvre. Il s’agissait de construire 30 kms de route dans des bidonvilles de la capitale, Bujumbura, avec le réseau d’assainissement correspondant.
Au-delà de la construction, l’originalité de ce programme était de profiter du chantier pour créer une dynamique économique pérenne. L’option a d’abord été prise d’utiliser une main d’œuvre abondante (3 000 personnes) plutôt que des machines. Tout était fait à la main ! Ensuite un vaste programme de formation a été mis en place pour chaque ouvrier(e), à raison d’une formation hebdomadaire (environnement, santé, confiance en soi, mise en place d’une petite activité rémunératrice).
Le programme a appuyé le placement des ouvriers post-chantiers. Il a accompagné ceux qui en avaient le potentiel à créer leur propre activité rémunératrice, et il a littéralement changé la vie des 3 quartiers visés ! Une dynamique commerciale a été créée avec les routes, une dynamique communautaire a été renforcée avec les formations et les sensibilisations, une dynamique socio-économique a été stimulée chez les ouvriers et leurs familles, une dynamique environnementale a vu le jour (les ordures ont commencé à être ramassées).
Les quartiers, jadis connus pour leur insécurité due à la présence de nombreux ex-combattants (le Burundi a été éprouvé par une tragique guerre civile de 12 ans) sont même devenus des zones de divertissement prisées de toute la capitale (bars, disco, restaurants) !! Compte tenu des impacts du programme, la même démarche a été depuis reprise sur d’autres gros chantiers de travaux publics dans le pays, en lieu et place d’une construction classique via des entreprises et avec des engins de chantier !
Pour en savoir plus et voir des photos du projet, cliquez ici
Jusqu’à présent, que retenez-vous de plus important dans l’exercice de votre métier ? Quelles compétences demande-t-il, quelles en sont les principales difficultés, et quelles satisfactions vous apporte-t-il ?
J’ai la chance de faire un métier où je rencontre des gens formidables ! Des gens qui s’engagent pour les autres, corps et âme, et qui se donnent, avec courage, persévérance, et astuce aussi. Des hommes, des femmes de tous âges (j’ai travaillé avec des présidents d’associations de 15 à 84 ans !), de toutes conditions, dans des contextes très divers. Ils m’inspirent et m’apportent humainement bien plus que ce que je peux leur apporter techniquement.
Au début de mon activité, je me suis aperçu que les recommandations que je faisais suite à une mission étaient parfois mises en œuvre, parfois non. Lorsqu’elles ne l’étaient pas, c’était toujours pour des facteurs d’ordre humain. Comme ce qui m’intéresse, c’est ce qui est mis en œuvre, je me suis lancé dans une formation de coach professionnel, pour mieux appréhender ce facteur humain, au niveau individuel et collectif. Ca a été une révélation et un bonheur. Comme ma femme a vu des changements chez moi à la maison, elle a décidé de ne pas être en reste et a suivi la même formation !
Vous êtes implanté à l’Ile de La Réunion, pouvez-vous nous dire pour quelles raisons ? Quels sont selon vous les atouts majeurs de ce territoire ?
Ma famille est à la Réunion depuis 1665 (une année après la création d’une célèbre bière !). Mon ancêtre, Pierre Hibon de Frohen, parti d’Arras, a fait partie du premier groupe de Français et Malgaches à arriver sur l’île et à ne plus en repartir… Il a été le premier juge de l’île. La Réunion, c’est donc mon terroir !
La Réunion est un territoire qui gagne à être connu, et un lieu propice pour les affaires : stabilité, sécurité et potentiel caractérisent cette unique région européenne de l’hémisphère sud. Le cadre de vie et la qualité des relations interpersonnelles font de La Réunion la région d’outre-mer la plus attractive. Avec bientôt 900 000 habitants, une main d’œuvre qualifiée et un tissu d’entrepreneurs dynamiques, La Réunion tranche avec l’image de « danseuse de la République », injustement posée sur les outremers français.
Elle offre deux visages, à la fois celui d’une île bénéficiant de transferts sociaux et celui d’une île qui innove et entreprend. Il y a ici plus de 500 chercheurs, et nos filières économiques sont pour la plupart bien structurées : le projet « Réunion Ile Verte » s’articule autour de 4 filières : TIC, tourisme, agroalimentaire et énergie-environnement. Les filières plus traditionnelles (BTP, services aux entreprises et aux particuliers, artisanat, agriculture, etc) proposent aussi de nombreuses opportunités de partenariat pour des entrepreneurs de l’Hexagone et d’ailleurs.
Je suis frappé par l’ouverture accélérée de l’île sur le monde depuis une quinzaine d’années, tout en parvenant à préserver et mettre en valeur la riche culture locale. Chaque mois, je découvre de nouvelles initiatives de quartier valorisant tel ou tel aspect à travers les structures que j’accompagne (culture, éducation, environnement, etc).
C’est vrai que je suis amoureux de La Réunion… mais mes nombreux voyages (75 pays) me laissent aussi croire à une certaine objectivité ! La Réunion, venez et goûtez-y de vous-mêmes !
Et pour finir, je crois que vous n’êtes pas insensible au rugby… Quelle est votre expérience en la matière ?
J’ai joué 3ème ligne aile dans l’équipe de l’ESCP lors de mes études en métropole, et au Rugby Club Portois en 1997-1998, comme trois-quarts. J’en garde des souvenirs fabuleux et uniques : des entrainements engagés, une franche camaraderie, une tournée à Madagascar épique, et toujours les valeurs de courage, de combat, d’humilité, d’égalité, sans distinction de race, de statut, de religion ou d’opinion.
Je me souviens un jour m’être fait copieusement enguirlander après avoir fait une grosse erreur à l’entraînement. Le lendemain… Surprise ! Je vois mon coéquipier frapper timidement à la porte de mon bureau de directeur pour y installer des ampoules !
Le rugby, c’est ça : sur le terrain, on est tous égaux, simplement des êtres humains avec la même valeur, engagés dans un même combat, ensemble… Finalement, n’est ce pas ce que nous avons à vivre dans le monde aujourd’hui ?
Intervention de Paul Hibon à TEDx Réunion
Interview : Frédéric Poulet
Photos : : Photos : Paul Hibon / Armoiries Arras et Ile de La Réunion : Wikipédia
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