C’est en culottes courtes, dans la cour de la laiterie que dirigeait son père dans le Lot, que la flamme du rugby s’est révélée à lui… Une flamme qui depuis ne s’est jamais éteinte. Ses héros d’alors s’appelaient Agasse, Lavau, ou encore Danos, et il rêvait de partager un jour leurs exploits…
Mais si les circonstances de la vie feront que ce n’est pas sur le pré que Jean-Claude Lacassagne pourra le plus exprimer son indéfectible amour pour le rugby, c’est que les Dieux du Rugby avaient pour lui d’autres desseins. Tour à tour créateur (et joueur !) du club corpo de la Caisse des Dépôts, puis grand dirigeant de l’AS Mérignac Rugby, il créera, en compagnie de son ami Yves Appriou, l’association « Drop de Béton »… Pour lui, le rugby est bien plus qu’un sport… C’est un formidable vecteur de lien social et de réalisation de soi, au service de tous… Merci Jean-Claude !
Envoyez un message à Jean-Claude Lacassagne
Bonjour Jean-Claude, ta rencontre avec le rugby, elle s’est passée comment ?
Lorsqu’il m’arrive de repenser à mon enfance, le rugby y est très intimement mêlé. C’est le ballon en cuir marron que mon père m’avait mis entre les mains dès mon plus jeune âge. Ce ballon était en soi une petite œuvre d’art, avec ses tranches magnifiquement cousues et aussi bien dessinées que celles des melons (avec lesquels, il nous arrivait aussi de jouer) que produisait le père de mon copain Daniel. Il avait, en son centre un lacet, également en cuir, pour protéger la vessie. Ce fut longtemps, je crois, mon plus fidèle compagnon de jeu.
Mon père était gérant d’une laiterie coopérative, je pouvais donc profiter quotidiennement de l’espace que me laissait la cour de cet établissement lorsqu’elle s’était libérée des camionnettes des ramasseurs de lait. Je pouvais alors à loisir m’entraîner à taper dans le ballon, à le réceptionner sans commettre le moindre en-avant, à faire des passes à gauche, à droite…
Saint-Sozy, Lot (46)
Mon village natal s’appelle Saint-Sozy. Il est situé dans le Lot. C’est donc tout naturellement que je devins un supporter inconditionnel du Stade Cadurcien dont, à l’époque, la qualité du jeu faisait les délices de tous les amateurs de rugby. Il comptait en son sein des joueurs exceptionnels, dont un arrière nommé Agasse, célèbre pour la vivacité de ses relances et sa taille modeste. Mais il y avait aussi là-bas celui qui devait devenir mon modèle, le demi de mêlée Roland Lavau. Mon père le connaissait bien, ce qui n’est sans doute pas étranger à l’intérêt que je manifestais à son égard. Et comme déjà, jeune, je ne faisais pas partie de ceux que l’on appelait avec un respect certain « les grands », un important avenir rugbystique à ce poste semblait me tendre naturellement les bras…
Et c’est dans la cour de la laiterie que j’effectuais mes premières ouvertures en plongeant comme le faisaient si bien Roland Lavau et celui qui l’a barré en équipe de France, Pierre Danos. Je me souviens encore de mon souffle coupé lors du premier contact, un peu rugueux, avec le sol essentiellement composé de «castine» mais j’ai vite compris comment faire pour ouvrir aussi bien (pensais-je), que les numéros 9 de Cahors et de Béziers…
Le rugby, c’était aussi les parties que nous organisions entre nous, sur le terrain de sport de Saint-Sozy et aussi à Meyronne, sur un pré situé derrière la maison de «Poulet», (de son vrai nom Francis Pasquier mais surnommé Poulet parce que lui, jouait deuxième ligne). Nous y avions installé des poteaux de rugby, bien sûr, plus petits que les règlementaires. Ils étaient fabriqués avec de jeunes châtaigniers dont les troncs avaient la particularité d’être très droits. On pouvait ainsi tenter des drops et transformer les essais et les pénalités.
Généralement, un «grand», plus âgé, nous arbitrait sur ce terrain dont les limites qui n’avaient rien à voir avec les officielles, étaient tracées avec de la sciure. Nous jouions le jeudi et pendant les vacances scolaires d’hiver. Il nous arrivait même, profitant de l’éclairage de la place du village, de jouer à la nuit tombée, sur l’espace le plus illuminé de la route, juste entre l’église et la mairie. A l’époque nous n’étions que très rarement dérangés par la circulation et c’était le plus souvent l’obligation d’aller dîner qui sifflait la fin de la partie.
Ce fut certainement la séquence la plus heureuse d’une enfance où j’ai eu la chance de vivre dans un milieu familial empreint de beaucoup d’affection. Et puis il y avait les copains (et les copines), super compagnons de jeux comme on l’a vu… Et il y avait aussi la Dordogne, qui passait à quelques centaines de mètres de ma maison, et qui l’été, me permettait d’assouvir une autre passion, la pêche !
Septembre 1957, changement de décor. Je rentre, pensionnaire, au Lycée Cabanis, à Brive. Fini la liberté mais heureusement il y a les «Muguets», l’équipe de rugby de Cabanis. Je découvre la compétition. Hormis cette expérience sportive, mon passage à Brive ne dure que deux ans et ne laissera pas de souvenirs impérissables. En septembre 1959, j’intègre le Collège de Martel où règne un climat beaucoup plus familial. Le jeudi après-midi, on y joue au rugby. Monsieur Baudel, le prof de gym, veut m’emmener à Souillac où il brille tous les dimanches en troisième ligne…
Mais la vie, qui jusque là m’avait été si agréable, m’inflige sa première cruelle et douloureuse épreuve. Mon père, qui n’était pas opposé, bien au contraire, à la perspective de me voir évoluer sous les couleurs de l’US Souillac, décède subitement. Le rugby n’était plus d’actualité et ma mère s’est opposée à ce projet, pensant qu’il était susceptible de nuire à mes études. Notre immense peine a évité tout conflit à ce sujet et je ne suis jamais allé jouer à Souillac…
Après avoir échoué au concours de l’Ecole Normale, j’ai, comme beaucoup de provinciaux, passé d’autres concours pour intégrer une administration, et c’est ainsi que je me suis retrouvé en juillet 1963 à la Caisse des Dépôts et Consignations, à Paris. La passion pour le rugby ne m’avait jamais quitté et en 1974, j’ai réussi à créer l’équipe de rugby de la Caisse… Trop tard pour retrouver le niveau de jeu que j’avais plus jeune, mais suffisant pour se faire plaisir dans le cadre du Championnat Corporatif d’Ile de France. Nous avons eu la joie d’y acquérir le titre de Champion en 1976 ou 1977, je crois…
Et par la suite tu as toujours œuvré en Ovalie … Quels chemins as-tu suivis en ce pays là ?
Je n’ai jamais particulièrement apprécié la vie parisienne. Plus exactement, mon pays natal m’a toujours manqué. En 1980, j’obtiens ma mutation pour l’établissement de Bordeaux de la Caisse des Dépôts. Nous avons eu beaucoup de chance car ma femme a obtenu en même temps son exéat pour la Gironde et trouvé un poste à Mérignac où nous nous sommes établis. J’ai joué un petit peu au club du Haillan mais, avec l’âge, la flamme pour la pratique du rugby avait tendance à vaciller. A Mérignac, j’allais voir jouer le club de la ville et j’ai rencontré, une personnalité, un grand monsieur du rugby, Fernand Sampiéri, qui fut le premier arbitre international français. Il était bien sûr très impliqué dans la vie du club local. Toute la famille baignait d’ailleurs dans le rugby, sa fille Annie, son gendre Jean Cantet, (CTR), leur fils François, qui fut un joueur talentueux et, plus tard, un excellent entraîneur.
C’est donc Fernand et Jean qui m’incitèrent à intégrer le club de Mérignac, où j’ai occupé plusieurs fonctions en commençant par l’encadrement des Juniors Reichel, où évoluait d’ailleurs François. Une équipe qui atteint les demi-finales de sa catégorie en 90 ou 91.
Après avoir eu en charge la communication, je deviens Secrétaire Général du club. C’est à ce moment là que j’ai la chance de croiser la route d’Yves Appriou, qui venait entraîner Mérignac après avoir conduit Bègles au titre de Champion de France, en juin 91. Pour moi ce fut une magnifique rencontre et une réelle complicité entre nous s’est très vite établie. Nous avions en effet une communauté de pensée à propos du rugby, et sur bien d’autres choses d’ailleurs. Je peux faire le même constat en ce qui concerne celui qui était son adjoint, chargé des arrières, personnage différent mais ô combien attachant aussi, Christophe Rouchaléou. Nous avons ensemble connu de grands moments, intenses, parmi lesquels la création de Drop de Béton…
La discussion étant arrivée au constat que les gosses des quartiers qualifiés de « sensibles » ne venaient pas dans les écoles de sports et pour ce qui nous intéressait, à l’école de rugby, une idée lumineuse s’imposa subitement, qui voulait que « puisqu’ils ne venaient pas à nous, c’est nous qui devions aller à leur rencontre, sur leur lieu de vie, pour leur faire découvrir le rugby»… Ce qui fut dit fut fait, et c’est ainsi que Drop de Béton vit le jour !
L’AS Mérignac Rugby, par son activité que je qualifierais de « normale », m’a procuré son lot de satisfactions, avec les montées au niveau supérieur, l’amitié, la camaraderie, la découverte de personnalités, mais aussi les déceptions, les mauvais résultats, les départs de joueurs… C’est je crois ce que je vivais le moins bien.
J’ai travaillé avec plusieurs présidents, aussi différents les uns que les autres, mais dont je ne conserve que les meilleurs souvenirs, parmi lesquels : Célestin Apouey, Jean-Manuel Bajen et enfin Bernard Cazeneuve. J’ai bien sûr conservé des liens forts avec d’autres personnes mais je ne peux pas toutes les nommer.
Jean-Claude, tu co-présides donc « Drop de Béton » avec Yves Appriou, que retiens-tu d’essentiel de cette expérience, et quels éléments de fierté et de satisfaction en retires-tu ?
A titre personnel, c’est une expérience d’une richesse inouïe, extrêmement exigeante mais tellement passionnante ! Je suis convaincu que c’est elle qui m’a réellement fait prendre conscience de la notion de « responsabilité » et de sa dimension.
Il y a ces jeunes, garçons et filles, auprès desquels nous essayons, avec le rugby et ses valeurs, de faire comprendre la nécessité de l’existence de règles et de leur respect. Nous tentons, au quotidien, de leur montrer l’importance fondamentale de cette notion (même si elle est fréquemment malmenée et à tous niveaux). Cette démarche suppose de notre part une attitude que l’on veut exemplaire. Nous n’avons pas le droit de décevoir. Il faut savoir créer le lien, le consolider, amener la confiance.
Le public en difficulté ne se limite pas aux quartiers sensibles, il y a aussi le monde du handicap, qu’il soit physique ou mental. Il y a aussi les personnes sous main de justice, qu’elles soient en liberté ou qu’elles en soient privées.
Et puis il y a aussi les filles dont les conditions de vie n’ont pas connu une trajectoire favorable, contrairement à ce que nous pouvions imaginer il y a quelques décennies. Avec la création des « Melting Drop », nous avons eu la très agréable surprise de constater combien, pour elles, le rugby était facteur d’émancipation et d’affirmation de soi.
L’ampleur de la tâche est révélatrice du degré de satisfaction que nous pouvons éprouver lorsque le résultat escompté est au rendez-vous.
Reportage du 13h de France 2 du 5/10/2009
Si en seulement quelques lignes tu devais me dire ce que le rugby t’a donné … tu me dirais quoi ?
En terme d’ambition, le rugby ne m’a pas donné ce que jeune, j’espérais. Plus tard, même si je n’ai pas évolué à un haut niveau, j’ai tout de même éprouvé les mêmes sensations que ressent tout joueur de rugby: le goût de la rudesse des contacts, ce sentiment particulier que procure une force collective, l’agréable sensation du petit demi de mêlée de ressentir la protection dont il bénéficie de la part de ses gros de devant, être capable de s’étonner, dépasser ses appréhensions, savoir se maîtriser, faire la fête ensemble… Je ne fais pas preuve d’originalité et moins encore en disant que c’est vraiment l’école de la vie, mais j’en suis intimement persuadé. C’est peut-être parce que j’ai été un joueur frustré que je me suis autant investi à ce niveau.
Cela m’amène à dire combien je regrette que le rugby ne soit pas davantage pratiqué lors du cursus scolaire. Je demeure persuadé qu’initié comme il devrait l’être, bien des problèmes mis actuellement en exergue y trouveraient une réponse satisfaisante.
Tu es aujourd’hui à la retraite mais quelle était ta profession ?
J’ai fait toute ma carrière à la Caisse des Dépôts et Consignations. Je n’en garde que de bons souvenirs. J’ai fini responsable de l’Unité de Recouvrement de la CNRACL (la caisse de retraites des agents des collectivités locales et de la fonction publique hospitalière). J’aimais bien mon travail et mes collègues. Mon investissement à Drop de Béton ne me laisse cependant que peu de temps pour les revoir…
Tu vis à Mérignac, en Gironde, depuis longtemps maintenant… quels sont les principaux atouts de ce territoire ?
Mérignac, Gironde (33)
Nous sommes arrivés à Mérignac en juillet 80, et nous avons découvert une ville très agréable. Avec ses 67.000 habitants, c’est la 2ème ville de Gironde et la 3ème d’Aquitaine, mais il y a beaucoup d’espaces verts et boisés. Il y existe un tissu industriel et commercial très important, notamment le secteur aéronautique. Nous y bénéficions de tous les services que l’on peut attendre dans une agglomération de cette importance qui, dans le même temps, possède deux vignobles d’excellente qualité, des Graves : Le Château Picque-Caillou et le Luchey-Halde.
Mérignac c’est aussi la porte du Médoc, les landes girondines sont aux limites ouest de la ville, l’océan est à 40 kilomètres, comme le Bassin d’Arcachon. Sur la rive droite de la Garonne, c’est le Saint-Emilion, au-delà c’est le Périgord, et si on pousse un peu plus loin, à quelque 200 kilomètres, on arrive à Saint-Sozy, mon pays natal, sur les rives de la Dordogne, bien que situé dans le Lot (le haut-Quercy).
Et puis, Mérignac, c’est aussi 14 écoles élémentaires, 4 collèges, 2 lycées, et l’aéroport de Bordeaux, ne l’oublions pas. Au sud mais pas très loin, le Pays-Basque et les Pyrénées sont accessibles en 2 heures environ, nous bénéficions de beaucoup d’atouts donc.
Quand des amis qui ne connaissent pas ta région te rendent visite, tu leur fais découvrir quoi en priorité, et tu les emmènes déjeuner où ?
En priorité, c’est Bordeaux, les quais, c’est une ville magnifique ! Ensuite, c’est le Bassin d’Arcachon, le littoral océanique, la Dune du Pilat, les vignobles … il y a de quoi faire !
En matière de gastronomie, je conseille la lamproie à la bordelaise, une spécialité délicieuse à vraiment découvrir et à faire découvrir.
Je ne peux pas non plus faire l’impasse sur les huîtres du bassin et notamment celles du banc d’Arguin et bien entendu la dégustation des vins de Bordeaux, ceux du Médoc, les Saint-Estèphe, les Graves, les Saint-Emilion, sans oublier le Sauterne et des vins moins prestigieux mais souvent tout aussi savoureux !
Bon et maintenant que tu es dans la « Mêlée Puissance 15 », vers qui vas-tu ouvrir ?
Sans hésitation aucune, je fais la passe à Christophe Rouchaléou, une rencontre qui compte pour moi. C’est une personne d’une générosité exceptionnelle, qui travaille avec le plus grand sérieux mais qui ne se prend pas au sérieux. Il a fait partie des débuts de Drop de Béton. Il s’est orienté, avec beaucoup de réussite dans l’entraînement à VII. Nous nous revoyons toujours avec beaucoup de plaisir. Il est investi au niveau du Comité Territorial de Rugby de Côte d’Argent.
Et de même, je passe aussi le ballon à Alban Capello, qui est le responsable de notre antenne « Drop de Béton » en Ile de France, en Seine-Saint-Denis. Il fait, dans des conditions souvent difficiles un travail extraordinaire, notamment auprès des féminines avec lesquelles il obtient d’excellents résultats, tant humains que sportifs.
Site Internet de Drop de Béton
Site Internet de l’AS Mérignac Rugby
Interview : Frédéric Poulet
Photos : Photo « portraits » et photos « rugby »: Archives JCL, Droits Réservés / Ballon rugby / Fotolia 45759646 / Berthe lait : Fotolia 38286959 / Châtaigniers : Fotolia 70709573 / Mairie Mérignac : Wikipedia Mspecht / Blason Mérignac : Wikipedia Galaad de Nallys / Quai Richelieu Bordeaux : Fotolia 51621772
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