A l’échelle du temps, le rugby est une « jeune » discipline sportive sur cette belle Ile de La Réunion, et cet homme fait partie des pionniers qui lui ont permis, au cours des dernières décennies, de gagner ses lettres de noblesse.
Et quand, marmaille, il courait après un ballon rond dans les Hauts de la Saline, Edy Mothé, actuel Secrétaire Général du Comité de Rugby de La Réunion après avoir été joueur, éducateur et dirigeant du RC Portois, ne se doutait certainement pas que ce ballon pouvait aussi prendre forme ovale. Le jour où il s’en rendit compte, ce fut pour lui un coup de foudre… Mais quoi de plus normal quand on est sur les bancs de l’Ecole des Métiers d’Electricité ? Et ce jour là, ce fut du courant continu qui passa en lui, car la lumière ne s’est depuis jamais éteinte… Allon met ensemb, Edy !
Envoyez un message à Edy Mothé
Bonjour Edy, à l’époque où tu as rencontré le ballon ovale, le rugby était encore confidentiel à La Réunion… Alors quand, comment, et pourquoi t’y es-tu intéressé ?
Je suis né à la Saline Saint-Paul, sur la côte ouest de l’île. Il est vrai qu’à l’époque ce n’était pas une terre de rugby, mais c’était en tout cas un quartier très animé sur le plan sportif, où comme tous les jeunes Salinois, j’ai d’abord fait mes armes au foot, au hand et au volley.
La Saline-Les-Hauts, Ile de La Réunion (974)
Ce n’est que lors de mon passage à l’Ecole des Métiers d’Electricité (EDE), au Port, en 1969, que j’ai entendu parler de rugby par des VAT venus de métropole. Et puis un jour, à la sortie d’un entraînement de foot, un copain, étudiant comme moi à l’EDE, m’invite à venir essayer le rugby à l’AJRR (Association des Jeunes Rugbymen Réunionnais)… Ca m’a tout de suite plu, et c’est comme ça que je suis tombé dedans !
Dès lors, quel a été ton « chemin » rugbystique ?
J’ai donc joué à l’AJRR, avec qui, excellente entrée en matière, j’ai remporté le Championnat de la Réunion en 1970.
Après mon service militaire, effectué en Corse (où j’ai été privé de ballon ovale !), je suis parti jouer au Bras-Panon Athletic Club, qui s’était créé en 1975. J’ai fait plusieurs matchs avec la Sélection de La Réunion, notamment lors de tournées à l’Ile Maurice et en Afrique du Sud, et nous avons gagné la médaille d’or aux 1ers Jeux des Iles de l’Océan Indien, qui se sont déroulés à La Réunion en 1979.
C’est à l’issue de ces Jeux que, muté pour aller enseigner au Lycée du Moufia, j’ai rejoint le Rugby Club Portois, avec lequel j’obtiendrai 4 titres de Champions de La Réunion, et disputerai 2 fois la Coupe des clubs champions de l’Océan Indien, en 81 et 82.
Suite à une mutation professionnelle en métropole, j’ai joué une saison au Rugby Club de Vincennes (en 2ème division), puis au CMS Pantin, qui évoluait en Honneur. A cette époque j’avais une double licence « Métropole / Réunion », ce qui me permettait, quand je rentrais « au pays », de participer avec le RC Portois aux phases finales qui se déroulaient début juillet.
Puis à mon retour à La Réunion, je me tourne vers de nouvelles responsabilités rugbystiques, et je deviens éducateur au RC Portois, ce qui me donnera l’occasion d’encadrer de très nombreux jeunes, depuis l’école de rugby jusqu’au juniors. Parallèlement, je rentre au Comité de Rugby de La Réunion (Président de la commission de discipline, Manager des sélections Minimes et Juniors, puis Vice-président du Comité sous l’ère du Président Daniel Martin).
Sous l’ère de l’actuel Président, Armon Coupou, je serai membre du Comité Directeur, Président de la commission de discipline, et enfin, Secrétaire Général du Comité, poste que j’occupe à ce jour. Au long de ce parcours, j’aurai l’honneur de recevoir la médaille de bronze de la FFR en 1998, ainsi que la médaille de bronze de la Jeunesse & Sports en 2001… Voilà tu sais tout de mon parcours rugby !
Et si ce chemin était à refaire… Tu le referais ?
Oui, sans hésiter, car le rugby m’a énormément apporté, sur beaucoup de plans. Sur le plan sportif, il m’a donné de très grandes satisfactions personnelles, dans les victoires, mais aussi dans les défaites. Au rugby, la défaite forge le caractère, et elle t’oblige à devenir plus fort, à te surpasser… J’ai vécu ça quand j’ai débuté à Bras-Panon, où malgré de nombreuses défaites on a su garder le plaisir de jouer et le désir de combattre. Personnellement, ça m’a permis à l’époque d’être repéré pour intégrer la Sélection de La Réunion.
Sur le plan humain, le rugby m’a permis de sortir de La Réunion et d’aller rencontrer d’autres cultures dans des pays voisins. Un voyage en Afrique du Sud, du temps de l’apartheid, m’avait par exemple fait découvrir des trottoirs, des espaces publics, des toilettes pour « Europeans only »… Mais heureusement, le rugby, c’est aussi cette rencontre humaine, riche et multicolore, qui nous réunit sur le terrain dans le respect du jeu, et qui, lors de la 3ème mi-temps, est un magnifique moment de partage et de « liant », qui qu’on soit, d’où qu’on vienne.
De ta longue épopée rugbystique, quels souvenirs « marquants » peux-tu nous confier ?
Je commencerai par mes tous débuts à l’AJRR, en 1969. A l’époque on était vraiment des pionniers du rugby à La Réunion, et on avait très peu de moyens. J’habitais à La Saline et je m’entraînais à Sainte-Suzanne… Un sacré bout de route quand tu connais la topographie locale! Aller à l’entraînement, et surtout rentrer chez soi après, tenait parfois du miracle car j’y allais souvent en stop. Et il nous est parfois arrivé d’utiliser les phares pour éclairer le terrain quand le gardien n’était pas là… On avait vraiment la foi !
J’évoquerai aussi une tournée en Afrique du Sud, dans les années 70, du côté de Stellenboch, contre une équipe universitaire. Mon copain de chambrée, Fred Sitalapressad, m’avait recommandé de ne pas trop percuter, d’être prudent vis-à-vis des Sud’Afs, et de ne surtout pas tomber au sol, car ils seraient sans pitié pour nous, les Noirs de la Sélection. Mais j’ai toujours joué devant et aimé l’engagement, et bien entendu je me suis retrouvé au sol… Et la prédiction de Fred s’est avérée exacte ! Encore aujourd’hui, il aime à me rappeler cet épisode !
Enfin je te parlerai d’une belle rencontre, imprévue (ne sont-elles pas souvent les meilleures ?) dans un restaurant, le « Black Marlin », lors de la Coupe du Monde 95, à Durban, juste avant la ½ finale France/Afrique du Sud… Une rencontre entre 3 générations de capitaines assis côte à côte au restaurant : Benoît Dauga, capitaine du XV de France en 68, Serge Blanco, capitaine du XV de France en 1985, et… Ton serviteur, capitaine des… « Port Epiques » !, l’équipe des vétérans du RC Portois, venue jouer à cette occasion contre des vétérans de Durban et de False Bay. Partager ce moment avec ces monuments du rugby fut pour moi un pur bonheur, et un grand privilège.
Tu es également Président de « Handisport Club Saint-Denis »… Peux-tu nous présenter cette association ?
Oui, je suis président de cette association depuis 2012. Son but est de favoriser la pratique sportive et la compétition, dans différentes disciplines, comme l’athlétisme, la boccia, la course en fauteuil, la pétanque, la sarbacane, etc… A toute personne porteuse de handicap.
Nous menons 3 actions « phares » dans notre projet sportif et culturel : « Marchons ensemb », au mois de décembre, « Jouons ensemb » au mois d’avril », et « Courons ensemb » au mois de juillet, et nous participons également à différentes journées organisées par les autres clubs de l’ile.
Enfin, sur le plan national, nos jeunes participent aux championnats nationaux de boccia, ainsi qu’aux Jeux nationaux de l’avenir handisport.
Tu es aujourd’hui à la retraite, mais dans quel secteur d’activité as-tu exercé ?
Je suis à la retraite depuis 2011, après avoir travaillé pour l’Education Nationale, d’abord comme Professeur dans le domaine technique (thermique), puis comme Proviseur à partir de 1991. J’ai fini ma carrière à la tête du Lycée Technique Isnelle Amelin, à Duparc, sur la commune de Sainte-Marie.
Tu es Réunionnais… Peux-tu nous apprendre 3 expressions créoles typiques de ton île ?
Ah ça oui, je suis Réunionnais, et fier de l’être ! Né dans un quartier rural, à « La Saline les Hauts », j’ai grandi dans le terroir et la tradition créoles, et je vais donc te confier 3 expressions qu’on emploie souvent ici, surtout sur les terrains de rugby :
– « Nou lé gayar » : Cà, ça colle assez bien avec le rugby. Ca signifie « solide », « bien bâti », « prêt au défi physique »… Autant de qualités appréciées par le rugby moderne. A notre époque, les « gaillards » (comme moi !) étaient ceux qui jouaient devant, qui allaient au front pour distiller les bons ballons aux gazelles. Aujourd’hui, tout a changé, il n’y a plus trop les « gros » d’un côté et les « gazelles » de l’autre… Chacun, quel que soit son poste, doit pouvoir s’adapter à toute situation de jeu, dans lequel la dimension « physique » a pris partout la place.
– « Allon met ensemb » : Ca, par exemple, ça concerne un groupe d’individus qui se réunit pour créer, bâtir ou former quelque chose ensemble, dans l’unité. Là aussi, on retrouve complètement les valeurs du rugby, notamment « sa » valeur fondamentale : l’esprit d’équipe !, celui qui nous réunit pour porter haut les couleurs de notre club, ou celles de la nation. C’est aussi une expression qui colle tout à fait à la mêlée !
– « Tien bon nou arrive » : Là, on est typiquement dans l’entraide, pour répondre à l’appel au secours lancé par autrui lorsque le danger est tout proche ou déjà là pour lui. On connaît bien ça au rugby, avec tout ce qui se passe dans les mêlées ouvertes !
Bon, et si on vient te voir, tu nous emmènes visiter quoi ? Et après ça, on va manger quoi, et où ?
L’île de La Réunion est une île aux trésors d’un point de vue touristique, et les lieux à visiter ne manquent pas… Alors puisque je dois faire un choix, j’évoquerai 2 sites qui me sont chers, pour différentes raisons :
D’abord « Grand Etang », sur la commune de Saint-Benoît, à l’Est de l’île. Je vais régulièrement me balader et pique-niquer là-bas quand nous recevons des « touristes » à la maison, même si je garde un souvenir « particulier » de la première fois où j’y suis allé, il y a bien longtemps. J’avais en effet reçu ce jour là un malencontreux coup de sabre sur le tendon d’Achille, donné par un collègue maladroit chargé de nous frayer un chemin à travers la vigne marronne !
Et puis, « L’Ilet Quinquina », sur la commune de Sainte-Marie, qui offre une balade à la portée de tout le monde jusqu’au barrage, d’où les plus téméraires pourront remonter ensuite la rivière et partir vers l’ilet. Je suis un amoureux de la nature et j’ai retrouvé, à travers mes balades et mes parties de pêche dans cette rivière, des moments de plaisir et de « ressourcement », des émotions que je partage avec mon fils et les amis qui m’accompagnent.
Et bien entendu, au bout de ces balades, on partagera un bon zembrocal et un bon cari cabots (poisson) ou un cari z’anguille !
Pour finir ton portrait « Puissance 15 » en chanson Edy, tu nous fais écouter quoi ?
Mon choix ira vers « Chant of the islands » de Fiji. Avec cette chanson, je lance un clin d’œil à mes amis d’outre-mer que j’ai eu l’occasion de rencontrer lorsque j’étais en métropole, et que je n’aurai certainement plus l’occasion de voir. C’est une chanson d’origine fidjienne que j’avais découvert à travers mes rencontres et activités militantes, culturelles, sportives, avec les autres domiens.
Fiji – Chant of the islands
Interview : Frédéric Poulet
Photos : Photo de Edy: Archives EM / Vue Grand Etang: Wikipedia / Cari Z’anguille : site ileauxepices.com / Lycée Isnelle Amelin : site du lycée
PETIT Michel
Bonjour Edy
Content d’en connaître un peu plus sur ton parcours et d’avoir été à tes côtés au sein du RC Portois et du Comité de la Réunion. Je n’oublierai jamais le voyage de l’Ecole de Rugby (en 2000) du RC Port qui nous avait permis d’emmener une bonne trentaine de marmailles et leur faire découvrir la Métropole et mon club d’origine (Le Rugby Club Revélois). Bonne retraite à toi et bises à toute ta famille.
Michel