Ping et Pong, les Dieux du Tennis de Table, forts du précieux concours d’Aita, pensaient avoir fait main basse sur le destin sportif de ces deux frères alors gamins…
C’était mal connaître la ruse, et le pouvoir énorme, des Dieux du Rugby ! Avec la complicité de Roger Couderc, ceux-là missionnèrent d’abord Otto Pierre d’insuffler le « poison » ovale à ses deux neveux dans leur jardin Camboard. Quelques années plus tard, c’est à Arcachon, où le loup était dans la bergerie, qu’ils chargèrent un certain Monsieur Debouc de porter l’estocade finale… Le poison devint alors philtre d’amour, un élixir dont Alain, l’aîné, emplit sa gourde, basque, qu’il ne put s’empêcher de tendre à Serge, son cadet de frère, lequel la but à grosses goulées… Alea iacta erat… Autrement dit : « la messe était dite! »… Les Dieux du Rugby venaient de faire deux magnifiques recrues pour peupler la terre sacrée… La Terre d’Ovalie !
Dans le vestiaire d’avant-match…
Salut les frangins… Tout d’abord, laissez-moi vous dire que c’est un bonheur sincère pour moi que de me livrer à cet exercice de la « double interview »… C’est une grande première dans l’histoire de la « Mêlée Puissance 15 » ! A l’instant où j’attaque cet entretien, je ressens la même excitation que le minot que j’étais (il y a bien longtemps !) ressentait juste avant d’entrer sur le pré… Il va falloir y aller, vaincre ses craintes, prouver son courage, se surpasser pour les autres et pour soi-même, donner et prendre plaisir ! Compte tenu des différents échanges que nous avons eus jusque là, je me dis que cette excitation, vous la ressentez peut-être aussi ! De toute façon, on savait tous les 3 depuis le début qu’on ne pouvait pas ne pas le jouer ce match, puisque c’est Pascal Jeanneau qui en est le grand ordonnateur… Alors on va faire de notre mieux, pour Pascal, pour nous, et pour tous ceux qui liront votre histoire de rugby !
Le match :
Bon… Pour commencer, un titre comme « Frères de Sang… Frères de Rugby ! »… Toi Serge, le cadet, tu en penses quoi ?
Serge : J’en pense que si nous partageons aujourd’hui ce moment avec toi, c’est bien grâce à notre histoire de frères… Des frères qui ont eu la chance de partager une magnifique épopée ovale. Mais le plus important n’est finalement pas là. Notre histoire, c’est d’abord celle de deux frères… Des frères de sang, un sang qui a su pleinement irriguer nos cœurs pour les faire battre l’un pour l’autre, et je souhaite à tous les frères de la planète de vivre ce que depuis toujours nous partageons Alain et moi… La complicité, la confiance, la connivence.
Et le rugby alors, tu dirais qu’il a apporté quoi de plus à votre relation de frères ?
Serge : Le rugby a la faculté d’embellir la vie, car il rend les gens plus intelligents, plus généreux, plus partageurs, plus à l’écoute les uns des autres. C’est un sport plein d’incertitudes, dans lequel il faut avancer avec dans les mains un curieux ballon ovale parfois difficile à maîtriser, tout en se faisant des passes en arrière… Tout ça n’a l’air de rien, mais c’est en réalité un art très difficile, source d’histoires aussi authentiques qu’incertaines, voire improbables… Ce qui, d’ailleurs, m’a permis de rebondir 6 fois dans ma vie professionnelle ! Alors oui, sans aucun doute, le rugby, dans toute sa complexité et ses multiples rebonds, a renforcé nos liens naturels de frères !
Alain, puisque tu es l’aîné, il y a fort à parier que tout ce qui s’est passé entre vous 2 a été guidé par ta place de « défricheur » au sein de la fratrie… Raconte-nous les prémisses de votre histoire ovale…
Cambo-les-Bains, Pyrénées-Atlantiques (64)
Alain : Oui, c’est vrai, ma place d’aîné a fait que quand on était gamins, j’ai été le premier de nous deux à devoir faire des choix pour aller pratiquer des activités extérieures à la maison… Et à l’instar de ce que dit Serge au sujet du ballon ovale, on peut parler à ce sujet de rebonds capricieux et de revirements de situation que j’ai provoqués, parfois sans vraiment le vouloir… Peut-être était-ce mon destin !
Au moment de rentrer au lycée, je demande à mes parents de m’inscrire dans un établissement ayant une section tennis de table, à Arcachon, le Lycée de Grand Air. En effet, j’ai un assez bon niveau, mais juste à l’échelon local, et j’ai envie de franchir un cap, de me frotter à l’étage supérieur pour m’évaluer. Mes parents acquiescent, ce qui leur demande un sacrifice financier… C’est aussi une fracture pour eux et pour moi, car je quitte mon petit village basque de Cambo-les-Bains, là où j’ai poussé et où j’ai tous mes repères…
Tu n’as jamais joué au rugby quand tu quittes Cambo pour rejoindre Arcachon ?
Alain : Non, jamais… Enfin… Si !… Juste avec mon frère, dans le jardin, après les matchs du Tournoi des V Nations, transcendés qu’on est par les exploits du XV de France et par les commentaires passionnés de Roger Couderc. On joue là dans les années 60, avec Serge, à deux contre zéro, contre des Anglais, des Ecossais, des Irlandais et autres Gallois imaginaires… Et on gagne tous nos matchs !
Il y a donc un ballon à la maison ?
Alain : Oui sans doute…
Serge : Oui, sans aucun doute ! C’est mon ballon, celui que m’a offert Otto Pierre (ndlr: Otto signifie « Oncle » en basque), un Adidas en cuir, « le » fameux «ballon Adidas » de l’époque… Je dors avec!
On est un paquet de cette génération à avoir dormi avec ce fabuleux ballon… véritable trésor. Bon Alain, tu arrives au lycée à Arcachon… Et là, toujours pas de rugby ?
Alain : A mon arrivée là-bas, je suis certes étiqueté « pongiste », mais aussi « Basque», donc forcément rugbyman dans l’esprit des autres. Mais pour moi, ce « catalogage » ne change rien… Je ne joue toujours pas au rugby.
Cependant, le Surveillant Général du lycée, un certain Mr Bedouc (qui, je l’apprendrai plus tard, a développé le rugby au Maroc), organise régulièrement des matchs entre internes et externes. En réalité, mieux qu’organiser, il nous impose de participer à ces joutes ! C’est à cette occasion que je fais mes grands débuts (semi) officiels de rugbyman. Dès le premier match, je traverse plusieurs fois le terrain… Je me régale vraiment, même si je deviens vite une cible et subis quelques agressions… Le pongiste que je suis n’y est pas trop habitué, mais j’adore!
Tu as donc 16 ans quand tu disputes ton premier match de rugby ?
Alain : Non, même pas 15 ans, car j’ai un an d’avance…
Serge : Tu l’as vite perdu celui-là!
Alain : C’est vrai… A plus de 200 kms de mes bases Camboardes, je me construis de nouveaux repères à Arcachon où j’arrive en Seconde comme pensionnaire. A l’internat, je fais la rencontre de nouveaux amis, un en particulier, Joël Mano, avec qui je partagerai au final 8 années de « vie commune », dont 4 au lycée (c’est effectivement à cette période là que je perdrai mon année d’avance en redoublant ma Terminale…).
Du haut de ses 1,59 m et de ses 60 kilos, ce nouveau pote, que je suis partout, est plus mature que moi (lui a un an de retard à l’époque !) et il connaît tous les gars de 1ère et de Terminale. C’est un sportif de haut niveau, et alors que nous sommes en Seconde, il devient Champion de France de Judo de sa catégorie… Respect ! Qui plus est, lors des fameuses rencontres de rugby internes-externes rendues « obligatoires » par notre SurGé Mr Bedouc, Joël joue n°9 dans notre équipe des « internes », celle où je fais mes débuts.
A cause de (ou grâce à ?) Joël, tu deviendras même footballeur, raconte-nous ça…
Alain : En fait, Joël est un sportif super actif, et il fait également partie de l’équipe de foot ASSU du lycée, qui devient Championne d’Académie en battant le Lycée de Bayonne à Morcenx… Pour ma part, je ne vivrai cet exploit en direct qu’en tant que supporter, car pour l’occasion, nous avions affrété un car pour aller encourager nos potes, la plupart des joueurs étant des compagnons de chambrée de l’internat. Histoire d’agrémenter le voyage, et soucieux de jouer pleinement mon rôle de « Basque », j’avais acheté spécialement pour l’occasion une gourde (avec ce qu’il faut dedans !) et préparé quelques bonnes chansons de mon pays, des chansons qui ont longtemps résonné dans ce bus.
Ces anecdotes d’adolescents restent très importantes pour moi, car à l’issue de cette finale gagnée, les joueurs (avec Joël en instigateur !) et les professeurs d’E.P.S. du lycée me demandent de rejoindre l’équipe pour jouer les phases finales du Championnat de France… Je n’avais jamais joué au foot en club mais, porté par l’engouement de mes potes et celui, ambiant, de l’époque (on était en pleine épopée des « Verts » de Saint-Etienne), je les rejoins, bien sûr… Ainsi, après être pongiste et rugbyman, me voilà donc en effet… footballeur !
Et il n’y a pas qu’au foot que Joël Mano va t’embarquer, forgeant ainsi en toi au fil du temps une passion pour la pratique du sport et une vocation pour ton devenir professionnel…
Alain : C’est exact ! Les années suivantes, celles de 1ère et de Terminale, Joël me convainc de ne pas me cantonner uniquement au tennis de table, tout comme lui ne se cantonne pas, me dit-il, à sa seule discipline « historique », le judo… C’est ainsi que j’intègre l’équipe l’athlétisme, avec laquelle je finirai au pied du podium du relais 4x100m à Charléty (stade que je retrouverai bien après dans ma vie de rugbyman), en Championnat de France Cadets.
Plus tard, avec Joël, ayant fait le choix tous les 2 de devenir profs d’EPS (il est aujourd’hui en poste à Lannemezan), nous continuerons ensemble notre vie d’étudiants à l’UREPS de Bordeaux, puis au CREPS à Talence… Et c’est lui qui un jour, épluchant le Midol de fond en comble, m’apprendra ma première sélection en Equipe de France Juniors avec les Blanco, Berbizier, Codorniou et consorts !
Avec le recul du temps sur tout ça, je suis infiniment convaincu que si je reste à Cambo à l’heure du lycée, et que je ne suis pas confronté à de nouveaux repères, je n’aurais pas eu la vie, heureuse, que j’ai… C’est en effet bien à Arcachon que s’est forgé mon amour pour le sport en général (et qui a fait de moi le prof d’EPS que je suis devenu) et pour la pratique du sport à haut niveau… Cela, je le dois à des rencontres magnifiques, dont celle, fondatrice, de Joël Mano, et j’adresse également ici un clin d’œil amical à mes nombreux potes de dortoirs et d’études de l’époque, pêle-mêle: Michel Rozzaza, Jérôme Lecardeur, Pelut, Pierre Lalande, Derrick Thompson, Pierre Marsan, et tous les autres, avec qui nous avons fait les 400 coups, sous la bienveillance de ce sacré Mr Bedouc !
Finalement, ta première licence de rugby… Ce sera où ?
Alain : Pendant les fêtes de Cambo, un copain, Xali, me demande de rejoindre l’équipe qui a été montée par Monsieur Duhau… J’ai du mal à le dire à mon père, tant je connais le sacrifice que mes parents ont fait en m’envoyant à Arcachon pour progresser en tennis de table. Mais comme j’aime vraiment le rugby, je me lance… Je vois bien que mon père est désolé, mais il arrive à me comprendre et à accepter mon choix, à la condition que je ne joue pas au rugby quand il y a une compétition de tennis de table. Je ne jouerai finalement qu’une seule année à l’U.S. Cambo, en faisant très peu de matchs, par respect de la promesse que je lui ai faite.
Pourquoi une seule année ?
Alain : Par un concours de circonstances, certainement, quoique !… En fin de saison, les juniors de Cambo jouent contre les juniors du B.O. en lever de rideau de Biarritz-Bagnères. Sans que je le sache, les dirigeants du B.O. ont vu mon père qui leur donne son accord pour que je joue à Biarritz. J’ai sûrement dû assez bien me débrouiller pendant ce match, car trois semaines après, au retour d’Arcachon, je me retrouve à la maison avec mon père, Mr Dupont, Vice-Président du Biarritz Olympique, et Michel Celaya, qui entraîne le B.O. à l’époque… C’est décidé, je pars jouer à Biarritz !
Mais alors Alain, si ce fameux match de lever de rideau avait eu lieu à Bayonne… Tu aurais signé à l’Aviron ?
Alain : Ah ça je ne sais pas ! Je me rappelle seulement que Mr Dupont, qui était vraiment une superbe personne, avait dit à mon père que, comme sur ma carte d’identité il était écrit «né à Biarritz», je ne pouvais certainement pas jouer ailleurs… Ni mon frère d’ailleurs, lui aussi né à Biarritz !
Bien joué Mr Dupont ! Et alors justement, toi, Serge, dans tout ça, c’est quand que tu rentres sur la scène ovale ? Tu as suivi le frangin, c’est ça ?
Serge : Oui, c’est exactement ça… Moi, je me suis souvent contenté de suivre Alain en Terre d’Ovalie, mais là je dois au préalable te parler de quelque chose de très important… Si tu veux tout à fait comprendre les « frères Mourguiart », tu dois comprendre l’immense place qu’a tenue le tennis de table dans notre contexte familial et dans nos jeux de frères. J’ai des souvenirs très prégnants à ce sujet… Martin, notre père, était ébéniste, et il avait fabriqué une table de ping-pong de ses propres mains, qu’il avait installée dans le garage de notre maison. Dès lors, entre Aita (ndlr : « père » en basque), Alain et moi, c’était parties sur parties, durant des heures et des heures et, en partant de rien, on a réussi avec Martin à fédérer plus de 70 licenciés dans ce club, la « Kamboko izarra, section tennis de table », née dans ce garage, et dont il était le président !
En fait, cette histoire de « ping-pong », ou de « tennis de table », est allée très loin dans notre giron familial, déjà vis-à-vis de papa, ça c’est une certitude (et ça explique ce que dit plus haut Alain quand il a annoncé la première fois à Aita qu’il voulait jouer au rugby), mais aussi dans la complicité entre Alain et moi.
J’ai le souvenir de parties en double, ou nous avions des codes sous la table… On jouait l’un pour l’autre, et il était difficile de nous battre dans cette configuration… Alors c’est tout naturellement que j’ai d’abord suivi Alain dans cette discipline. Il avait un excellent niveau, au point d’intégrer la section Sport-Etudes à Arcachon.
Nous ne sommes pas arrivés au monde dans une famille « rugby », et c’est donc au fil du temps que s’est forgée en nous la culture et la passion pour ce sport… Ce dont je suis certain, c’est qu’elle trouve ses racines là, dans ces parties de ping-pong familiales, dans ce garage, dans ce partage autour de cette table sortie des mains de notre père…
Donc si je comprends bien… Alain joue au tennis de table, tandis que Serge joue au ping-pong… C’est bien ça ?
Alain : Ce qui est certain, c’est que même si j’ai eu un bon petit niveau en tennis de table, Serge a été bien meilleur que moi. En championnat, on a très souvent joué l’un contre l’autre, et celui qui avait peur… C’était moi, même si je ne lui ai jamais dit ! Et puisque Serge évoque ce souvenir du « ping-pong », il est vrai que cette table, toute simple, faite par notre père, posée sur deux tréteaux, tout simples…
Serge : Peinte en vert et blanc quand même… Avec les limites blanches minutieusement tracées par Aita… Dans les règles de l’art !
Alain : Oui, mais si simple, dans ce garage! Cela suffisait à notre bonheur, cette table construite par notre père nous a grandement construits en tant que frères, elle a cimenté notre relation.
Serge : Oui, parce que notre investissement était total, ne serait-ce que vis-à-vis d’Aita et de ce club que nous avions créé de toutes pièces et qui lui était si cher! Alain en Sports Etudes à Arcachon, et moi, à 11 ans, allant quérir en 1972 à l’INSEP une sélection potentielle en équipe de France Jeunes… Tous ces week-ends passés à jouer et à taper dans cette petite balle blanche, sans compter les entraînements… C’était toute notre vie le ping-pong!
Et pendant la semaine, à Cambo, vous êtes à l’école ensemble ?
Serge : Non, à cause de cette foutue année d’avance qu’avait Alain, nous avons toujours été séparés. Néanmoins, quand j’étais à la maternelle, délimitée de l’école primaire par un petit muret, j’ai vu mon frère se battre contre deux autres potaches… Alors j’ai bravé l’interdit pour aller le sauver ! J’avais 5 ans, je n’étais ni gaillard, ni courageux, mais « l’amour fraternel » a ses raisons que la raison ignore… Alain m’a renvoyé l’ascenseur quelques années plus tard, à « La Gaita », une boîte de nuit au cœur du Pays Basque…
Alain : Ah oui, je me souviens ! On était partis en goguette avec une équipe que j’entraînais à l’époque (la Caisse Nationale du Crédit Agricole de Maurepas, dans les Yvelines) dans ce dancing au fin fond du Pays Basque. Je voulais faire découvrir à mes joueurs « parisiens » notre Pays Basque, et Serge, qui ne m’avait pas encore rejoint à Paris à l’époque, m’avait aidé à organiser ce voyage. Dans ce dancing donc, il y a eu à un moment donné une espèce d’embrouille de danse et de tabouret où je ne sais plus quoi d’autre entre Serge et un type… Bref, un « différend » si tu veux… Ca a tourné au vinaigre, alors on s’en prêté mains fortes et Serge s’en est très bien sorti !
Bon, mais toi, Serge, tu arrives quand même au rugby ?
Serge : Oui, bien sûr, mais par un autre chemin que celui emprunté par Alain. A l’école primaire, notre instituteur, Mr Iturrioz, nous initie à la pratique du rugby. Comme je suis plutôt rapide, le noyau dur de l’école, qui est du « bas-Cambo », m’accepte, et je joue donc avec les Chapelet, Xali (frère du précédent) et autres copains. Nous sommes champions départemental à 7 et le lendemain, en arrivant à l’école, chacun de nous a la surprise d’avoir « l’Album Panini » sur son bureau… Quel cadeau! Ca fait plus de 45 ans, mais je me rappelle encore des images… Roland Petrissans, de l’Aviron, Jean-Martin Etchenique, du Biarritz Olympique… Celui-là même avec qui je jouerai quelques années plus tard au centre au B.O. !
Tu as donc baigné plus tôt dans le rugby ?
Serge : Oui, même si, finalement, je jouerai plus tard qu’Alain en club ! Et comme j’ai tout fait comme Alain qui me traçait la route, un jour, les copains Cadets de l’U.S. Cambo me demandent de jouer avec eux… Contrairement à mon frère aîné, je n’ai pas à demander la permission à papa d’aller vivre cette incartade rugbystique… Privilège d’être le second de la fratrie! Je dois juste promettre à Aita que je tiendrai ma place dans l’équipe de ping-pong qui joue le soir même en championnat… Sauf qu’à Baigorri, je me casse l’épaule! Quand je rentre le soir à la maison, Martin n’est pas très content… « C’est bien fait pour nous ! » me dit-il… Là, je fais profil bas.
Premier match difficile donc…
Serge : Mémorable en tout cas, puisque j’y laisse une épaule ! J’avais le numéro 13 pour cette « première », alors, pour conjurer le sort, j’ai toujours joué avec ce numéro dans ma carrière de rugbyman, sauf une fois, je te raconterai ça plus tard… Mais quoiqu’il en soit, c’est bien avec les Cadets Camboards que je fais mes débuts sur le pré.
Et c’est à Cambo que les frères Mourguiart commenceront à jouer ensemble ?
Alain : Non, car nos trois ans d’écart nous en auraient de toute façon empêché en Cadets, et puis, je n’ai que très peu joué à Cambo, même si je garde le souvenir d’une finale perdue à Mourenx contre Mauléon. Je suis déjà parti au B.O. quand Serge attaque à l’U.S. Cambo, mais il va vite me rejoindre…
Serge : Et figure toi que je vais prendre le même chemin qu’Alain pour aller au B.O. ! Bis repetita… C’est à mon tour de me retrouver à la maison avec ce fameux Mr Dupont et Michel Celaya… A l’époque, l’U.S. Cambo est parrainée par le Biarritz Olympique, et Olivier Devèze, alors président de l’U.S.C, facilite les choses pour que je rejoigne le B.O. au plus vite, ce que je fais en cours de saison, je suis encore Cadet.
Alain : Eh oui, à l’époque, chez Devèze, on était « pro B.O. » ! Christian, le fils, est aujourd’hui Vice-Président de l’Aviron Bayonnais… Et toujours notre ami !
Donc là, vous vous retrouvez tous les 2 au Biarritz Olympique… J’ai bien tout suivi ?
Serge : Oui, mais pas dans la même équipe ! En 1978, moi je suis en Crabos, et Alain est dans l’équipe biarrote Reichel qui va en finale du Championnat de France contre le Racing… Une finale perdue, mais le lendemain Alain veut absolument faire partager à son « petit frère » un peu de la grande aventure qu’il vient de vivre avec ses potes, alors il vient me rendre visite au Lycée Cassin de Bayonne, où j’ai intégré la section Sport Etudes Rugby. J’ai trouvé vraiment sympa cet élan de générosité de sa part, même si je dois à la vérité que je l’ai trouvé dans un état très « fatigué » quand je l’ai rejoint à la conciergerie où il m’avait fait appeler !
Alain : C’est vrai que c’était exceptionnel pour moi de vivre cette épopée ! J’avais rejoint cette équipe du B.O. qui 2 ans plus tôt avait joué la finale du Championnat de France Cadets contre le Lannemezan de Pierre Berbizier et de Laurent Rodriguez. Je me souviens que cette saison là, en Reichel, avec les Gérard Béraute, Yves Hirigoyen, Serge Blanco, etc…, on gagne tous nos matchs… Sauf un, celui de la finale, contre les Racingmen, qui comptaient dans leurs rangs Laurent Pardo, Eric Blanc, Yvon Rousset, Rodolphe Modin, entre autres…
Et donc Alain, j’imagine qu’en intégrant le B.O., tu ne joues plus au ping-pong… Euh pardon… Au tennis de table ?
Alain : Non! Même s’il m’arrive de dépanner, j’ai lâché, d’autant plus facilement que mon père a compris mon choix et me soutient totalement. Et puis, côté rugby, les choses vont très vite pour moi à Biarritz… On est en 1976, je suis junior et j’intègre l’équipe première du B.O. aux côtés de Serge Blanco, Roger Aguerre et Jean-Pierre Beraud, pour affronter Agen, le Champion de France en titre!
Ce match là, réellement, je ne peux que m’en souvenir… Joël Mano est dans les tribunes car on est venu ensemble de Bordeaux où on est alors à l’UFRAPS… Nous jouons depuis une bonne trentaine de minutes… Les Agenais ont la possession du ballon, dans un regroupement côté grande tribune… Je défends petit côté quand soudain je vois Daniel Dubroca débouler sur moi… Je ne dois pas, je ne peux pas m’échapper, alors j’y vais, je baisse la tête et… La lumière s’éteint… Interruption du match par l’arbitre !
A mon « réveil », je me souviens d’un médecin prenant mon visage dans ses mains et me remettant le nez dans l’axe, juste avant qu’on m’embarque pour l’hôpital d’où je ressors avec un masque. C’est dans cet état-là que Joël me reconduira à Bordeaux pour les cours de STAPS du lendemain. Comme Serge, mon premier match officiel en 1ère aura donc débuté par une blessure…
Tu as alors dix-sept ans ?
Alain : Oui, et seulement deux ans de rugby. Michel Celaya perçoit des qualités chez moi mais il sait très vite qu’il me faut beaucoup travailler car je suis, disons… Assez rustre!
Et toi Serge ?
Serge : Autant il m’a finalement été assez facile d’aller au rugby, autant la décision d’arrêter le ping-pong a été difficile pour papa qui n’a pas forcément compris…
Alain : Tu m’étonnes! Il avait un excellent niveau au tennis de table… Finaliste du Championnat de France par équipe, et Vice-Champion de France!
Serge : C’est que j’étais vraiment dans le giron familial du ping-pong ( !), et Aita a eu du mal à me comprendre, je crois que pour lui il était impensable que je laisse tomber ça… Mais le rugby (et c’est pourquoi nous partageons cela aujourd’hui) est une si belle aventure collective… Les copains, le partage, mon frère…
Alors c’est vrai que ça a été dur, mais Alain, que j’avais vu avec le maillot de l’Equipe de France Juniors… Tu comprends, ça m’a bougé… Il avait tracé la voie, et puis, à ce moment-là, j’intègre la section Sport Etudes Rugby de Bayonne que viennent d’ouvrir Pierrot Gely et Roger Etcheto… Alors j’y crois dur comme fer, et je mets tout mon enthousiasme pour vivre une belle, une très belle aventure de rugby et de copains, avec René, Mathieu, Ignace, Manèche etc… Et avec surtout la rencontre de Mon Ami, Kako… Hervé Lasbignes… Mon frérot aussi, avec qui je partage une aventure humaine extraordinaire… Nous apprendrons ensemble, lors d’un match de sélection, que nous sommes retenus pour jouer contre le Pays de Galles et l’Angleterre en équipe de France Scolaire…Plus que du partage, c’est une profonde émotion qui nous réunit depuis cette époque là.
On peut donc tourner la page « tennis-de-table-ping-pong » ?
Serge : Oui bien sûr, mais cette page a construit notre relation, et puis quelle belle histoire… Un papa et ses deux garçons qui créent un club qui aura jusqu’à 70 licenciés… Un club dans lequel je me suis engagé tous les mercredis après-midi et tous les samedis après-midi pendant près de 5 ans, par pure passion.
Quand Alain et moi avons décidé de poser nos raquettes pour nous consacrer au ballon ovale, papa, qui était le dynamiseur, le catalyseur du club, a un peu lâché… Il a suivi ses garçons sur les terrains. Et puis, plus tard, quand nous avons quitté le Pays Basque, il s’est réinvesti, dans le rugby cette fois…
Et alors, à Biarritz, vous faites quoi ensemble ?
Serge : On joue ensemble au B.O. de 78 à 83, alors forcément, ça fait beaucoup de matchs… Alain, lui, était déjà bien installé au sein de l’effectif biarrot, et petit à petit, j’intègre à mon tour cette équipe.
Par contre, je m’en veux terriblement (vraiment terriblement !) de ne plus me rappeler contre quelle équipe on a joué la première fois qu’on a été sur la même feuille de match…
Pourtant, je nous revois encore dans le vestiaire d’avant-match et je me rappelle très bien de l’atmosphère qui y règne… J’ai le souvenir précis d’entendre le speaker annoncer : « n° 13… Serge Mourguiart !, n° 14… Alain Mourguiart ! »… Je me revois encore être vraiment content parce que papa et maman sont là, dans les tribunes (la larme à l’œil, nous l’apprendrons plus tard…)… Mais fichtre, je ne me rappelle plus contre qui on a joué !
Alain, tu sais venir à la rescousse du frangin par rapport à ce trou de mémoire ?
Alain : Ben… Non, désolé Fred… Impossible pour moi aussi de me rappeler contre qui on a joué ce jour-là !
Par contre, je me souviens que nous n’étions pas l’équipe phare du coin… C’était plutôt l’Aviron Bayonnais… Mais on les battait souvent, et ça c’était le plus important, car vu qu’on est voisins, on se connaissait tous, et humainement, c’était très fort !
Au collège où je travaille actuellement, à Bayonne, mes collègues me chambrent souvent depuis quelque temps à ce sujet, alors j’ai fouillé dans mes archives et elles m’ont confirmé que quand j’étais au B.O., sur les 10 derbys « B.O. / Aviron » que j’ai joués (Championnat et Du Manoir), j’en ai gagné six ! J’avais ficelé le dossier, preuves à l’appui, pour leur montrer qui avait raison, et puis, en octobre dernier, le B.O. est allé gagner à Jean Dauger… Ca a suffi à les calmer… Finalement, je n’ai pas eu à leur montrer mes statistiques !
Vous avez des souvenirs particuliers de ces derbys B.O. / Aviron ?
Alain : Pour moi, c’est le dernier que j’ai joué… J’avais dit à Jean-Martin Etchenique que j’arrêtais au B.O. (car je travaillais déjà à Paris, et la distance était devenue trop difficile à gérer pour moi), et pour ma « der » avec les Biarrots, on gagne à Bayonne… C’était en Du Manoir, mes potes m’ont fait un beau cadeau !
Serge : Moi j’en ai deux en tête… Un à Biarritz… Les Bayonnais marquent à la dernière minute, Claude Uthurrisq rate la transformation de l’égalisation (le ballon s’écrase sur le poteau…), je tombe de joie à genou… Le soir, je suis de mariage avec Arno Gastambide, le numéro 8 de l’Aviron et on fait la fête ensemble… C’est ça le rugby en Pays Basque !
L’autre, c’est un match à Bayonne… Les coachs nous donnent la consigne de plaquer nos adversaires quoiqu’il arrive… Il faut dire qu’ils sont très joueurs ces Bayonnais! Sur le coup d’envoi, l’Aviron récupère le ballon… Peio Alvarez, leur ouvreur, n’a pas encore le ballon dans les mains que Jean-Martin Etchenique et moi avons déjà plaqué Christian Belascain et Patrick Perrier !!! … Pénalité contre nous, 3 points dans la musette bayonnaise, et pour moi une poire bien méritée claquée par Christian Belascain… Ce jour-là, à la fin du match, un monsieur assez âgé vient me voir dans les vestiaires avec un mot très gentil à mon égard… Je demande à Alain et à Serge Blanco : « Qui c’est ? »… Ils me répondent : « Jean Dauger… »… Ca, ça vaut une sélection, non ?
C’est vrai que ces matchs contre Bayonne nous ont marqués… A l’époque, je jouais à l’UREPS avec Patrick Perrier, et Alain avec Peio Alvarez au CREPS…
Et puis il y a la période PUC, à Paris où vous signez tous les deux…
Serge : Moi pas tout de suite, mais bien sûr que j’ai suivi Alain par la suite…
Alain : C’est encore un peu par accident que je vais signer au PUC… En fait, je suis d’abord contacté par le Racing, par l’intermédiaire de Laurent Pardo, puis rapidement aussi par le PUC, car j’ai connu Claude Haget et Pierrot Faget en équipe de France Universitaire. Et puis, fait du hasard ?, il se trouve que le gérant du club house de Charléty s’appelle Christian Oxandaburu… Quand il m’apprend qu’il est originaire d’Halsou, le village natal de mon père, là, je ne me pose plus vraiment la question entre le Racing et le PUC… Ce sera forcément le PUC ! Ainsi, avant même d’avoir rencontré Gérard Krotoff, le président Puciste, mon choix est fait… D’autant plus que lorsque je visite pour la première fois le bungalow que le club me met à disposition dans l’enceinte de Charléty, je me revois quelques années plus tôt, là, au même endroit, en train de m’échauffer et de prendre mes marques avec mes potes d’Arcachon pour ce fameux 4×100 mètres en finale du Championnat de France Cadets…
Et puis, au PUC, j’ai aussi déjà côtoyé l’entraîneur, Jacques Dury, en Equipe de France Universitaire, quelqu’un que j’apprécie beaucoup, et j’ai vraiment envie de m’inscrire dans une autre vision du rugby.
Et donc toi Serge, tu ne suis pas Alain tout de suite au PUC ?
Serge : Non, et comment t’expliquer mon retard ?… D’abord, il y a cette dernière saison au Biarritz Olympique, sans Alain… Je suis orphelin et je vis un moment difficile, mais bon, j’essaie de m’accrocher. Je connais quand même une éclaircie quand je fais mon service militaire au Bataillon de Joinville, où je côtoie des compagnons de promo comme Laurent Cabannes, Louis Armary, Didier Cambérabéro, Henry Sanz… On fera ensemble une belle tournée à la Réunion.
Mais je finis par décrocher du B.O., et le PUC me contacte à son tour par l’intermédiaire d’Alain car moi aussi, tout comme lui, je suis nommé prof d’EPS à Paris… Et là, tu peux essayer de chercher à expliquer ce qui donne du sens à la vie, à ta propre vie, pourquoi à un moment donné tu fais tel choix, et pas tel autre… Crois-moi si tu veux, je ne signe pas au PUC, mais dans mon berceau, à l’U.S. Cambo, en Honneur, comme joueur-entraîneur, en compagnie de Tonio Garcia, ancien n°8 du B.O. !
En ne signant pas au PUC, je dois aussi renoncer à une tournée en Nouvelle-Zélande, une belle et grosse connerie… La première, car j’en ferai une autre plus tard… Je me dis que c’est un moindre mal parce que quelqu’un qui m’est cher est parti à ma place, et je suis très heureux pour lui, vraiment… Et puis, bien des années plus tard, je me rattraperai un peu en passant un bon moment de convivialité avec Graham Mourie !
Et toi Alain, cette saison sans Serge, loin du B.O.?
Alain : Je tourne vite la page, car je suis très enthousiaste à l’idée de vivre et de jouer à Paris, où je trouve une atmosphère plus saine… Le Pays Basque est un village, alors qu’à Paris l’anonymat te protège… Sorti de Charléty, je suis tranquille! Et puis, Serge travaille lui aussi à Paris, où on se retrouve tous les 2 en poste comme profs d’EPS !
Alors bien sûr, on est très souvent ensemble, et du coup, le club house tenu par le Basque d’Halsou est le témoin de moments d’anthologie entre mon frère et moi !
Serge : Alain a fait des efforts pendant trois ou quatre ans pour entrer dans le jeu (je devrais dire le non-jeu) du B.O., avec deux dernières années quasiment insupportables où il ne touche pas de ballon! Le raisonnement était de gagner, pas de se faire plaisir, et résultat, ça gagnait rarement! En arrivant au PUC, il découvre une philosophie de jeu à l’opposé, et j’imagine que cela l’aide à digérer le départ et notre séparation sur le terrain.
Alain : C’est vrai, au B.O., nous n’avions pas vraiment de réflexion sur le jeu, les entraînements n’étaient pas construits pour nous rendre intelligents, et du coup nous ne progressions pas beaucoup…
Serge : En même temps nous avions 20 ans, on était jeunes et insouciants… Et peut-être pas intelligents !!
Alain : Oui, mais quand même, bien sûr, il existait une réelle passion pour ce club, le Biarritz Olympique, une passion partagée par beaucoup, une passion palpable et tellement prenante… Nos souvenirs au B.O. restent immensément riches et forts.
Serge, tu dis que tu as fait une connerie en ne rejoignant pas le PUC, alors pourquoi tu signes à Cambo ?
Serge : Je ne sais pas… Sans doute parce que je me sens redevable vis-à-vis de mes parents, de mes copains Camboars. Je me dis que travailler à Paris, et revenir chez moi tous les week-ends, finalement, ça me va… Et puis, Alain l’a bien fait lui !
Là où je suis fou, c’est qu’en renonçant au PUC, je renonce à une tournée en Nouvelle- Zélande, mais au final, dans le même espace-temps, je rencontre Annick, qui deviendra mon épouse, alors l’histoire folle ne pouvait pas être plus belle ! Elle est d’autant plus belle l’histoire, que Gérard Krotoff recrute mon ami Kako… C’est lui qui partira dans l’Hémisphère Sud !
Mais au bout de cette année à Cambo, tu retrouves Alain au PUC…
Serge : Oui, mon frère m’héberge dans son bungalow de Charléty, et on vit, on joue, on respire ensemble ! Ca commence par une tournée au Canada, humainement extraordinaire, avec Alain, Kako, Claude Haget, Pierrot Faget, Christian Orditz… On ne côtoie pas là-bas un niveau de rugby exceptionnel, mais on effectue une tournée très « Puciste »… Je te laisse imaginer !
Alain : Il faut dire qu’on allait dans des terres pas forcément très rugby et qu’on n’avait pas pris les choses très au sérieux…
Serge : Oui mais au final, c’était on ne peut plus rugby dans l’esprit et le jeu ! Même si je suis prof d’EPS, même si comme Alain j’ai suivi une formation avec René Deleplace, je découvre au PUC un autre rugby que celui que je connaissais jusque là… C’est une véritable révélation pour moi. Je sors de cette année d’entraîneur-joueur à Cambo où j’ai fait du très classique et là, d’un seul coup, chaque entraînement est une fête…
Alain : …Un rugby et un état d’esprit induits par Jacques Dury, un entraîneur entraînant incroyable!
Serge : Tu sais, j’ai eu la chance de jouer 5 ans à Biarritz, alors le B.O., c’est mon club, mais je n’ai eu le sentiment de lui être utile que très rarement… Avec Alain, on doit se souvenir de 5 matchs où on a vraiment pris du plaisir et où on a réellement apporté quelque chose… Allez, Alain a sûrement apporté un peu plus que moi quand même !
Au PUC, c’était différent… Tous les matchs, qu’ils soient gagnés ou perdus, transpiraient de plaisir, le plaisir du jeu, le plaisir d’être ensemble… Le rugby quoi!
Et puis l’histoire s’arrête assez vite…
Serge : Oui, je me blesse gravement au bout d’un an et demi…
Alain : Et moi j’arrête de jouer 4 mois après Serge! Certes, je me régale au PUC, je suis heureux sur le terrain et dans ma vie, mais cette histoire de rugby passionnelle que j’avais vécue au B.O., près de mes racines, même si elle ne me satisfaisait pas totalement au niveau du jeu, me manque terriblement… Et puis Serge doit arrêter de jouer, et aussi renoncer à son métier de prof d’EPS… Tout cela a du jouer dans ma décision.
Fin de l’histoire commune avec un ballon ovale ?
Serge : Non, elle continue pendant 2 ans, mais différemment. Alain devient entraîneur du PUC, il remplace le maître, et moi je continue d’entraîner l’ISG (une école de commerce parisienne) et je donne un coup de main… au PUC, où j’entraîne l’équipe des « Folklos » !
Alain : Oui, et c’est assez incroyable, car j’ai appris il n’y a pas si longtemps qu’il se retrouve parfois avec 60 joueurs, tout seul…
Serge : C’est vrai, et les « Folklos » ne viennent là que pour s’amuser… Du coup, je suis obligé de préparer des entraînements pour 60 types avec un seul objectif… Le jeu !
Alain : Quant à moi, je prends la tête de l’Equipe 1ère du PUC avec un double objectif: que les gars s’amusent, car c’est l’ADN du club, sans oublier quand même de leur mettre un peu la pression côté résultats! Mais j’entraîne les joueurs avec qui j’ai joué, et au PUC le jeu reste plus fort que tout…
Dans le même temps, j’ai un laboratoire annexe où je m’exerce, le club corpo de la Caisse Nationale du Crédit Agricole… Là aussi je rencontre et je croise des gars extraordinaires, qui ne comprennent pas tout à mon discours de « Matrices » (Balou, Gérard, Jean-Pierre, Henri, Yves… Ainsi que Michèle, notre secrétaire), jusqu’au jour où je prends la décision de partir, direction… La Guyane !
Alain en Guyane… Donc là, pour le coup, c’est une vraie séparation entre vous ?
Serge : C’est juste un nouveau chemin…
Alain : Qui durera presque dix ans, pendant lesquels je séjournerai en Guyane, puis à Ussel. En Guyane, loin de mes bases basques, je vis des instants de rugby magiques et je fais de belles rencontres… Celle de jeunes Guyanais d’abord, que nous avons initiés au rugby grâce au précieux concours de nombreuses personnes : Martine et France (mes collègues E.P.S), les ‘Michel’, Bernard, Jean-Marc, Bertrand, Patrick, Daniel… Et un jeune instituteur, nommé pour toute la Guyane. Souvent en remplacement sur le Maroni, cet instit’ me dira un soir de 3ème mi-temps mémorable, que si le rugby doit s’inscrire en Guyane, il faut que les Guyanais en soient les acteurs principaux, alors c’est ce que nous nous sommes attachés à faire du mieux possible. Cet instituteur, venu du Pays Basque, s’appelait Pascal… Pascal Jeanneau ! On était en 1989 et c’était notre première rencontre. On sera cette année-là Champions de Guyane avec Saint-Laurent-du-Maroni, et nous ignorions alors, lui comme moi, tout ce que l’avenir nous réservait en commun.
C’est durant mon séjour en Guyane que Robert Antonin, alors Conseiller Technique National, me propose le poste de Responsable au Sport-Études d’Ussel en remplacement de Pierre Perez, nommé à Bayonne. Cette expérience aussi sera très riche pour moi. Je n’ai que des supers élèves, sportivement et intellectuellement. Travaillant de concert avec Robert Antonin et André Peytavin, nous étions vraiment conscients de nos responsabilités : d’abord faire en sorte que tous ces gamins aient leur Bac, leur BEP ou leur CAP, et ensuite qu’ils deviennent éventuellement internationaux scolaires, c’était vraiment dans cet ordre… Les temps changent ! Aujourd’hui encore je suis heureux de revoir de temps en temps les Cyrille, Philippe, Jérôme, Vincent, Eric, Benjamin, Pierre et bien d’autres.
A cette époque, quand on se retrouve avec Serge, c’est plus en famille qu’autour du rugby, mais que ce soit à Paris, à Biarritz ou à Cambo, tout nous ramène toujours à ce foutu rugby.
Serge : Pendant ce temps, moi, je décroche avec le terrain, mais les amitiés sont là, et mes copains de Cambo, du B.O. et du PUC sont toujours très présents dans ma vie, et puis je sais exactement ce que fait Alain… Où qu’il soit, en Guyane ou à Ussel, je sais qu’il est heureux et qu’il met en pratique le rugby que nous aimons…
Alain : Oui, en tout cas j’essaie ! J’ai aussi fait ma vie avec Maguy et notre petite Charline, mais l’absence de Serge est forte et pesante, voire culpabilisante pour moi car je sais qu’il souffre beaucoup suite à sa blessure qui l’oblige à changer de voie professionnelle.
Serge : Ma vie aussi a basculé, avec Annick, Caroline et Laura, et si j’ai crevé d’envie d’aller en Guyane ou d’aller voir en cachette des entraînements à Ussel, je peux enfin retrouver Alain quand il prend l’Equipe Une du B.O. qui vient de descendre après un match de barrage contre… L’Aviron! A l’époque je travaille à Pau, mais ma petite famille s’installe à Biarritz… Ce n’est sûrement pas par hasard.
Alors, c’est le retour au B.O. pour tous les deux ?
Alain : Serge est très présent, mais en dehors du club, il vient voir des entraînements, et nous partageons sur le jeu…
Serge : Et aussi sur la vie… Ce qui se passe n’a plus grand-chose à voir avec l’époque où nous jouions… Alain le pédagogue se fait souvent gendarme !
Alain : Et Serge m’aide, me soutient, me régule.
Serge : Après la remontée immédiate, le B.O. se qualifie la saison suivante pour les phases finales… Match perdu (à Bayonne !) contre Dax après prolongations ! Et puis, en début de saison suivante, on est en novembre 97, Alain est remercié… Un truc incroyable pour moi, tellement il y avait de l’intelligence de jeu et des ambitions dans cette équipe.
Alain : Mais c’est comme ça, c’est la vie, je n’en garde aucune amertume, et je sais que cette décision n’a pas été facile à prendre pour ceux qui l’on prise.
Et du coup retour aux sources Camboardes ?
Serge : Oui ! Je suis conseiller municipal à Cambo, et Didier Iraztorza et Pampi me contactent pour reprendre l’US Cambo. En vérité, c’est un appel au secours, car ils pensent que le club peut disparaître, alors qu’il a plus de 100 ans ! L’U.S. Cambo est tombée en 4ème Série, il reste trente gamins en tout et pour tout à l’école de rugby, et les catégories Cadets et Juniors sont en entente.
Pour Alain et moi, l’idée de refaire le lien avec Cambo, notre berceau, emporte tout… On fonce!
Alain : On partage alors une année assez incroyable, avec seulement 2 matchs gagnés… avec un groupe certes limité en effectif, mais tellement à l’écoute !
Dis donc Alain, là, tu fais vraiment le grand écart… Tu passes du B.O. en Elite à l’U.S. Cambo en 4ème série ?
Alain : Oui… et je n’en ai aucun regret ! Serge en avait envie, et cela a suffi à mon propre engagement. Et puis, on venait de perdre notre père, alors c’était sûrement important d’être à Cambo à ce moment-là…
Serge : Finalement, on ne restera qu’une saison à Cambo, avec le regret pour moi de ne pas avoir pu passer du temps sur le terrain avec Alain…
Alain : Et la saison suivante, ils sont Champions de France de 4ème Série !
Serge : La même saison (2001 / 2002), Biarritz porte le Brennus du TOP 16 en battant Agen… Ce qui donne donc deux boucliers (ceux des extrêmes de la hiérarchie ovale!) au Pays Basque, à 23 kilomètres l’un de l’autre ! Pour fêter l’évènement, les deux trophées sont réunis pendant l’été à la mairie de Cambo, en présence de Jean-Michel Gonzalez et de Philippe Bidabé, enfants du pays et tout fraîchement Champions de France avec le B.O.… Incroyable magie du rugby!
Alain : Ah oui, Sacrée soirée de levée de boucliers en effet… On finit à 3h00 du matin chez l’ami Pascal, par un tournoi de tennis de table! Pour revenir sur cette année passée à Cambo avec Serge, j’en garde un sacré bon souvenir… Autant il me dit souvent qu’il a toujours beaucoup appris avec moi, autant sur cette expérience là, c’est moi qui ai beaucoup appris avec lui… Serge est bouillonnant d’idées, il a toujours envie d’innover… Ah ça… J’ai été servi … On ne s’est pas ennuyé!
Serge : Et on aurait pu faire encore plus, il m’en reste d’ailleurs une certaine frustration ! Ce qui me plaît dans le rugby, c’est l’incertitude, et j’ai le sentiment qu’elle existe de moins en moins… Une équipe met quelque chose en place, et hop, tout le monde fait pareil… Je ne comprends pas… Restons Gaulois bon sang!
Alain : Moi non plus je ne comprends, j’ai toujours essayé d’organiser le bordel! Cette année-là, j’avais passé le BE2 et Serge m’avait coaché… Moi qui suis enseignant, j’apprends plein de choses à son contact… Comment organiser une réunion, comment gérer un groupe, comment libérer la parole, comment faire une place à chacun…
Serge : Mais moi aussi j’apprends ! Et se forge aussi la conviction que nous sommes très complémentaires… Intuitivement je le savais déjà, nous avons toujours été tellement proches et fait les mêmes choses, nous avons toujours tellement été sur la même longueur d’onde ! Disons que cette expérience en commun nous a permis de prendre le temps de discuter et de mettre des mots derrière tout ça, ce que, finalement, nous n’avions jamais réellement fait jusque là.
Alors, une saison ensemble à l’U.S. Cambo, et puis c’est le clap de fin de votre histoire ovale commune ?
Serge : Détrompe-toi garçon… Il y a réouverture de la route Cambo – Biarritz !
Alain : Jean-Pierre Béraud, avec qui j’avais commencé aux manettes de la 1ère au B.O., est Président de la commission Jeunes du club, et il nous propose de prendre en charge toutes les équipes Cadets et Juniors biarrotes. Il organise une rencontre avec les éducateurs… Mais comme on ne sent pas une franche adhésion de leur part à ce qu’on leur propose, on décline.
Mais l’année suivante, Vincent Azoulay, ancien arbitre du TOP 14, convaincu par notre vision des choses et la partageant, nous propose de prendre en charge l’Ecole de Rugby du Biarritz Olympique… On y va !
Serge : Et là, pour la première fois depuis 20 ans, on se retrouve enfin sur le terrain! C’est passionnant, mais difficile aussi, car il est compliqué de fédérer une quinzaine d’éducateurs autour d’un projet de jeu, et plus encore, d’un projet de vie…
Alain : Heureusement, le soutien de Vincent Azoulay est sans faille, et puis Serge Blanco nous apporte sa bénédiction lors d’une réunion avec les parents… Ca aide!
Et ça se passe comment, entre vous deux, quand vous vous retrouvez sur le terrain ? J’ai l’impression qu’Alain est plus dans le « Pourquoi et le Quand », et Serge plus dans le « Comment »… Finalement les frangins, c’est peut-être en cela que vous êtes complémentaires, non ?
Serge : Pour moi, c’est un moment important, car je sais qu’avec Alain, nous allons enfin partager, et je m’en régale à l’avance ! Mais cela ne se passe pas vraiment comme ça… Alain occupe tout son temps à organiser et à coordonner le groupe, et du coup il me laisse me débrouiller sur le terrain…
Alain : En fait, ma priorité est de fédérer tous les éducateurs, de les aider et de les accompagner, et comme je vois que Serge maîtrise assez bien la chose côté terrain, je n’interviens que très peu auprès de lui…
Serge : …Sauf 2 ou 3 fois où j’ai voulu mettre en place quelques ateliers spécifiques, avec des plots et des portes… Là j’ai vite compris !
Alain : Ah…Toujours ce vieux débat sur la technique ! On a beau être d’accord sur l’essentiel, il n’empêche que sur la pédagogie, il y a des priorités… Oui à la technique, mais en situation, et de toute façon, toujours après avoir laissé les joueurs vivre les situations !
Serge : Oui mais moi par exemple, je ne comprends pas que la majorité des éducateurs interdisent le jeu au pied… Et du coup ne le fasse pas travailler aux gamins.
Alain : Là Je suis d’accord, et j’ai toujours laissé aux joueurs la possibilité de jouer au pied… Mais avant de savoir comment bien le faire, il faut savoir pourquoi et quand le faire, donc vivre des situations où la problématique impose telle ou telle réponse de jeu… J’irai même plus loin, je ne comprends pas qu’au beach rugby ce soit interdit, le jeu au pied!
Serge : Tu vois Fred, il insiste : « …il faut savoir pourquoi et quand, donc vivre des situations… », mais moi je pense qu’il faut aussi savoir comment taper dans le ballon, du pied droit et du pied gauche, devant, en haut ou à ras-de-terre… Quelques années plus tard, de longs palabres endiablés, 10 heures durant à l’occasion d’une marche mémorable sur le GR10, nous feront enfin nous comprendre et nous mettre d’accord, une bonne foi pour toute… Le pourquoi, le quand et le comment sont en effet indissociables au rugby, comme dans beaucoup d’autres activités humaines d’ailleurs ! Il est sûr que ce n’était pas en discutant 5 minutes sur un terrain qu’on serait arrivés à cette évidence… Il faut dire que ce jour-là, sur les chemins du GR10, il y avait entre nous deux un sacré traducteur négociateur… Un certain Pascal Jeanneau !
Donc là, oui, après cette expérience avec les gamins de l’Ecole de Rugby biarrote, tu peux dire « Clap de fin des frères Mourguiart sur un terrain! »… Mais va savoir ce que nous réserve l’avenir… La passion est là, et sait-on jamais ?
En réalité, il me manque quelque chose pour accomplir totalement mon parcours rugbystique « de frères » avec Alain… Partager un projet de A à Z avec lui, des amis et des gens passionnés, avoir un vécu commun sur du long terme.
Finalement, dans tout le parcours ovale que vous avez réalisé ensemble, il y a sûrement des « temps forts », des moments vissés au cœur que vous évoquez encore parfois aujourd’hui parce qu’ils vous ont particulièrement marqués… Allez… Mettez-vous d’accord pour nous confier quelques morceaux choisis…
Serge : Sur le terrain, il y a forcément un match à Toulon, mémorable…
Parce que vous le gagnez ?
Alain : Non, on le perd, mais grâce à ça on gagne facile au retour !
Serge : A la vérité, c’est un « non match », d’une grande violence, mais nous relevons le défi… A un moment, les Toulonnais obtiennent une pénalité… Jérôme Gallion balance une chandelle, et là… Plus personne ne s’occupe du ballon !! Je n’aime pas me battre mais je vois Alain en plein pugilat… Il est à fond dedans et je ne peux pas le laisser… Là on peut parler de « frères de rugby » ! Pendant l’échauffourée, Alain Guilbert, le 2ème ligne toulonnais, vient pour m’en coller une… Pascal Ondarts se met au milieu et lui dit : « T’es fou, tu vas le tuer ! »… Du coup, c’est lui qui prend la tarte à ma place!
Une fois la bagarre terminée, le bouillant public toulonnais scandera « le 13 enc… Le 13 enc …» tout au long du match… Sur le coup je ne saisis pas trop, car pour la bagarre, comme je te l’ai dit, je ne suis pas le meilleur client… Mais c’est au coup de sifflet final que je comprends tout : ce jour-là, je jouais exceptionnellement avec le n°12 dans le dos… L’autre centre, celui qui portait le n°13, c’était… Mon frère !
Quelques mois plus tard, on gagne le match retour à Aguilera exclusivement grâce à une prestation exceptionnelle d’Alain… Ce jour-là, à lui tout seul, il avait été aussi fort que des Imbernon, Cholley et Palmié réunis… Autant te dire que l’ambiance a été « chaude » !!!
Alain : Je me rappelle que l’arbitre de la rencontre avait un a priori plutôt favorable pour nous car il se souvenait d’un match où il nous avait dirigés quand on était Juniors, et au cours duquel on avait été très bons. Il me l’a avoué à la fin du match, tout en me disant en même temps qu’il était désolé d’être obligé de me mentionner dans son rapport compte tenu des marrons que j’avais distribués pendant la partie… Mais tout ça n’était pas bien grave, le plus important étant que ce jour-là, les Toulonnais sont repartis de Biarritz avec 30 points dans la musette… Pour une fois !
Serge : Un autre souvenir aussi avec Alain, plus mitigé, à Béziers… On joue à Sauclières contre le grand Béziers des Palmié, Vaquerin, Lacans, etc… Les images Panini de ces joueurs, on en a plein nos étagères à la maison! Match dur, bien sûr, Titi Vasseur et Pascal Ondarts ramassent terrible, et Serge Blanco est constamment ciblé. Mais on joue, on ne rêve pas, on y est bien sur ce putain de terrain ! Sur le chemin du retour à Biarritz, on apprend qu’une cousine très proche, Martine, est décédée dans un accident de la route… Tout d’un coup, pour nous, Sauclières ne vaut plus rien…
Et puis, tant que j’y suis, un autre match, à Narbonne… Je suis face à Didier Codorniou! Un grand, un immense souvenir, et même s’il finit par marquer un essai, l’accolade qu’il me donne en fin de match vaut tous les discours ! La même année, au Grand Hôtel à Paris, j’ai la chance de discuter en tête à tête pendant une heure avec un Monsieur qui ne me connait pas, mais que moi je connais… François Sangalli… Enorme !
Alain : Après, bien sûr, au-delà de ces matchs précis qu’évoque Serge, chaque rencontre que nous avons jouée ensemble a eu un parfum spécial, que ce soit dans notre jardin familial, à Cambo, où nous foutions la raclée à des adversaires imaginaires, ou plus tard, au B.O. ou au P.U.C.
Tous ceux qui habitent sur la Planète ovale savent ce que veut dire être «Copains de rugby», mais… «Frères de rugby», est-ce que ça veut dire encore un peu plus ?
Serge : Pour imager ça, je peux te parler du dernier match d’Alain au B.O. : on joue en 8ème de finale contre Lourdes, à Mont-de Marsan. Ils sont meilleurs que nous et, au lieu de prendre le risque de gagner, malheureusement, nous assumons de perdre… Cela m’est insupportable mais, surtout, sur son aile, Alain ne touche pas un seul ballon, et je me dis que c’est la dernière fois que nous jouons ensemble avec le maillot de Biarritz. Alors je me mets en tête que ce ballon, il va l’avoir, je dois coûte que coûte lui faire une passe… Et en dépit de toute logique, de toute intelligence de jeu, j’arrive à la lui faire cette foutue passe… il a enfin un ballon !
Et ?
Serge : Et… rien, mais le ballon, il l’a touché… Ensuite, il a pris un caramel ou je ne sais quoi. Cette passe à mon frère, faite il y a 35 ans, cela reste pour moi le fait du match!
Mais être frères de rugby, c’est aussi avoir un regard sur l’autre que personne ne peut avoir. Moi je sais qu’Alain était avant-gardiste dans son jeu, il était fort, très fort, techniquement et physiquement, avec une vraie clairvoyance dans le jeu. S’il avait eu des ballons (et pas que ce ballon de merde que je lui donne contre Lourdes !) il aurait eu une autre carrière… Philippe Sella a commencé à l’aile à Agen, où il a été gavé de ballons, et très franchement, si Alain avait connu ça, je crois que Philippe Sella aurait ressemblé à mon frère… Où plus exactement, je pense qu’Alain aurait été un premier Philippe Sella !
Alain : C’est gentil ça… Ce sont des mots que seul un frère peut dire à son frère. De toute façon, une chose est sûre, on ne peut pas refaire l’histoire, et on ne sait pas ce qui se serait passé « si »… ! Aujourd’hui, la seule chose dont je suis sûr, c’est que ce « potentiel » qui a peut-être été le mien quand je jouais, c’est à mes éducateurs que je le dois, à commencer par papa, qui me poussait pour que je travaille mes gestes de tennis de table tous les week-ends. Et puis ensuite, je dois beaucoup à Jean Duhau qui m’a éduqué au rugby à Cambo, à Michel Celaya à Biarritz, qui a vite pointé mes lacunes pour me les faire travailler, et plus tard à Jacques Dury au PUC, qui m’a permis de m’épanouir dans le jeu… Grâce à eux, j’ai toujours été dans le souci du détail et dans la volonté de progresser.
Serge : Même s’ils n’étaient pas « rugby » au départ, mais qu’ils le sont devenus au fil du temps à cause de nous, nos parents, Henriette et Martin, nous ont toujours suivi et encouragé dans la voie que nous avions choisie… On a beaucoup partagé tous les 4 grâce à ce ballon ovale qui s’est invité dans notre intimité familiale… Nous sommes restés leurs enfants jusqu’au bout, leurs fils dont ils étaient si fiers et si proches, et si le rugby nous a permis de vivre ensemble de grands moments de joie, il y eut aussi des moments d’angoisse, quand « la chair de la chair » était mise à mal. Je me souviens d’un match d’Alain quand il est Junior au B.O., contre l’ASB, gagné 86 à zéro. Je suis dans les tribunes avec les parents, tout se passe bien, jusqu’au moment où Alain se fait fracasser par un adversaire… Il a le nez qui touche une oreille… Nous, dans les gradins, on pleure tous les 3, on le croit mort!
Alain : Toi aussi tu as failli mourir sur le terrain…
Serge : Oui, à Oloron… Je me suis retrouvé coincé dans une flaque sous un regroupement, j’ai eu très peur de mourir noyé !
Alain : Une expérience assez incroyable pour un Maître Nageur Sauveteur…
Serge : Et puis il y a la fois ou je suis sélectionné en équipe de France Scolaire contre l’Ecosse, c’est Alain qui me l’annonce, je ne sais pas comment il l’a su mais c’était évident que c’était lui qui allait me le dire. Et puis encore un autre moment terriblement fort : Alain joue en équipe de France A contre la Russie, je suis avec papa en voiture vers Rodez, et on entend à la radio que le match a été terni par une bagarre générale terrible. On a peur qu’Alain se soit fait massacrer. Pas moyen d’avoir le début d’une nouvelle… Il faut attendre la lecture du Midi-Olympique le lundi pour être complètement rassuré…
Alain : On l’a dit, mais un regard nous suffit, Serge et moi nous avons le même regard sur la vie, sur le rugby. Que ce soit au rugby, à Pampelune, en montagne, à la vigne où nous faisons du vin avec nos amis, partout… Nous sommes frères! Serge me dit souvent que quel que soit le sport que j’aurais pratiqué, il l’aurait pratiqué aussi… C’est possible, mais en fait c’est assez improbable, car comme il le dit souvent aussi, « Il n’y a pas de hasard »… Le rugby véhicule des valeurs qui sont celles que nous ont transmises nos parents, et que nous aimons transmettre!
Vous habitez tous les 2 à Anglet… Si je viens vous voir un week-end dans votre pays, je vais y découvrir quoi, et on fait quoi ensemble ?
Serge : Déjà, pour commencer, on t’invite à la vigne, à Itxassou, où on te fera goûter le vin, le « Lokkaria », que l’on produit avec nos amis… Pascal, Xupete, Pierre-Alain et Robert… Sans oublier Olivier, qui est parti il y a 3 ans, mais qui plus que jamais est toujours là au plus près de nous.
Alain : Et Puis on ira forcément à Dancharia, en traversant le petit pont au-dessus de La Pitxuri. Cet endroit n’a pas bougé depuis des décennies, on y allait souvent pour éviter la douane… Autant à 500 mètres de là, des magasins ont poussé, autant cet endroit est resté authentique et rempli pour nous de souvenirs avec notre père.
Serge : On t’emmènera aussi marcher sur le GR10, vers les crêtes d’Iparla ou le col d’Organbidexka, avant de redescendre vers Hendaye, ou Kako nous recevra avec sa chorale Gaztelu Zahar.
Pascal Jeanneau, depuis son village d’Itxassou, vous a fait la passe «Puissance 15»… En retour, vous lui dites quoi à Pascal ? Et maintenant que vous l’avez en mains ce ballon, vers qui allez-vous taper à suivre ?
Serge : Nous sommes tous les deux très touchés, et très émus, par cette passe symbolique qui nous vient de Paxkal, nous la savourons pleinement, à sa juste (son immense !) valeur… Car s’il n’est pas notre frère de sang, Pascal est notre frère de cœur. Je t’ai parlé tout à l’heure de 2 erreurs que j’avais faites dans ma vie rugbystique… Voilà donc la 2ème… C’est de ne pas avoir accepté l’invitation de Pascal à entraîner avec lui l’AS Bayonne… Vraiment, je le regrette aujourd’hui bien plus qu’il ne l’imagine, même si j’ai eu l’occasion de le lui dire lors d’un voyage à Pampelune.
Alain : Plus haut, je t’ai dit qu’avec Serge nous partageons en frères le rugby, Pampelune, la vigne, la montagne avec quelques amis… Pascal est de tous ces instants avec nous. Le GR10, que nous avons cheminé ensemble plusieurs jours durant de Saint-Jean-Pied-de-Port à Hendaye, a été un de ces instants magiques de partage… Des marches journalières de 10 heures, des paysages de folie, les odeurs, les marmottes, les Isards, les sommets majestueux, la verdure, les lacs, le calme, la vie… Tout simplement !
Serge : …Et puis le « Petit Bleu », les cacahuètes, le Gevrey-Chambertin ou le Châteauneuf-du-Pape, sans oublier le Lokarria, et enfin et surtout les cabanes, les baignades dans les lacs, les couvertures de survie, les discussions mémorables sur tous les sujets de la vie et du rugby (rappelle-toi les « pourquoi ?», les « quand ?» et les « comment ? » évoqués plus haut… sur lesquels Pascal est arrivé à nous mettre d’accord, Alain et moi), et aussi… Le silence ! Parfois jusqu’à 4 ou 5 heures de silence… Quelle plénitude, quel bonheur partagé autour de Cauterets, du Vignemale, d’Eylie d’en haut, du Pic de Fonta, de Merens, du Carlit, du Canigou, de la Carança…
Alain : Bon, maintenant, il faut qu’on le passe ce ballon « Puissance 15 »… Attends, voyons, on en connaît tellement à qui on voudrait la faire cette passe… Tu en dis quoi, Serge ?
Serge : … Ah, je sais que tu vas être d’accord avec moi Alain… Cette passe, on va la faire à l’Ami Kako… Hervé Lasbignes ! Pour autant, en passant ce ballon à Kako, je tiens absolument à ce que Pierre aussi soit à l’honneur (« talonneur » !) ici dans notre portrait « Puissance 15 »… Eh oui Pierre, je garderai pour moi l’anecdote du Talonneur à Pampelune !… Pierre, c’est quelqu’un qui porte en lui toutes les valeurs qui nous unissent dans le monde du ballon ovale : loyauté, engagement, droiture, générosité… Nous cumulons ensemble 36 ans de Fête de Pampelune… Nous en avons encore au moins 30 à venir, alors fais-moi confiance Fred, d’ici-là il passera par tous les postes !
Alain : Faire la passe à Kako, ça me va très bien ! Si je l’ai connu d’une façon différente de Serge, c’est bien avec lui que j’ai commencé à jouer au PUC, et c’est plus facile de donner le ballon à quelqu’un avec qui on a joué ! Qui plus est, au cours de cette fameuse tournée en Nouvelle-Zélande avec les Pucistes, nous nous sommes arrêtés à Singapour, et là, j’ai appris à Kako à être responsable… Il te le racontera peut-être !
Allez les frangins, on se quitte en chanson… Alors s’il y a une chanson que vous aimez tous les 2, c’est le moment de l’écouter ensemble ! Ah, et puis, au fait… Merci… Pour tout !
Serge : Pour ma part ce sera une ballade Irlandaise, en mémoire d’un grand moment d’amitié partagé à Dublin avec Alain, Pascal et Olivier… Cette chanson est pour moi le symbole de beaucoup de choses.
Alain : Surtout que ce jour-là Serge a failli rester bloqué à Paris… Sortir de l’espace Schengen avec une carte d’identité périmée est difficile ! Heureusement, tout s’est finalement bien arrangé. Pour moi aussi cette ballade me rappelle de très bons souvenirs: les 40 ans de Pascal.
The Dubliners : « Molly Malone »
Interview : Frédéric Poulet, avec le (très) précieux concours de Pascal Jeanneau!
Photos : Photo de « Une » et photos Rugby d’Alain et Serge: Archives Alain et Serge / Bus : Fotolia 80991046 / Gourde basque : Wikipedia Ardo Beltz – CC BY-SA 3.0 / Dessin joueurs ping-pong : Fotolia 163679252 / Dessin joueurs rugby : Fotolia 56995526 / nombre 13 : Pixabay-437931_960_720 – Public Domain / Ambulance : Pixabay / Point Interrogation et point exclamation : Pixabay / Panneau Ussel : Fotolia 157135333 / Didier Codorniou : Wiki Narbonne / Bouée à la mer : Fotolia 162226948 / Panneau Anglet : Fotolia 112378242
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