A force de chercher la molécule miracle dans son laboratoire de chimie, cet homme a bel et bien trouvé celle que chacun de nous rêve de dompter un jour : celle qui rend invisible.
Et bien des années plus tard, c’est grâce à cette molécule que Roland Cottet parvient donc, sans être vu, caméra au bras, à s’immiscer au plus près des sujets dont il immortalise la voix, les gestes, les attitudes et les émotions dans ses documentaires… Des documentaires ancrés dans la vraie vie, qui nous parlent de chant, de musique, d’école, d’enfants joyeux et de maîtres heureux… Merci Roland !
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Bonjour Roland, quel a été votre parcours professionnel, et d’où vous vient cette passion pour l’image ?
Je suis aujourd’hui à la retraite, mais j’ai eu une carrière d’enseignant chercheur au Laboratoire de Chimie de l’Université de Marseille.
Parallèlement à mon travail, j’ai toujours été passionné par le monde de l’image. Autodidacte en la matière, j’ai débuté par la photographie, en commençant à immortaliser des nus. Bien sûr, réaliser de « belles » photos de sujets dans leur plus simple appareil peut prêter à sourire pour le néophyte… Mais c’est en réalité quelque chose de très complexe, et en tout cas une excellente école de formation.
Très rapidement, j’ai littéralement été captivé par le fait de capturer des images. A tel point que cette « révélation-passion » m’a mené à être à l’origine en 1976 d’un programme d’enseignement complet de la photographie à l’Université de Marseille. On a été les premiers en France dans le monde universitaire, car la seule formation en photographie qui existait à l’époque était celle de l’Ecole Nationale Supérieure Louis Lumière à Saint-Denis, école qui elle n’est pas dans la sphère universitaire.
Et puis, c’est au début des années 90 que je suis passé de l’appareil photo à la caméra.
Ou puisez-vous votre inspiration, et quelles sont les thématiques de prédilection dans vos œuvres ?
Ce qui m’intéresse de mettre en scène dans mes films, mon goût profond, c’est la vie, la joie, la musique, la jeunesse. Et donc j’essaie le plus souvent possible de « tourner » autour de ces thèmes là.
elles essaient de mettre dans la lumière les difficultés, et les joies, de personnes souvent marginalisées ou en difficulté sociale, et qui, grâce à un « projet » collectif (avec l’aide de l’école, de l’expression artistique, ou simplement de leur communauté) arrivent malgré tout à sourire et à vivre pleinement.
Ainsi, il est souvent question dans mes films, d’enfants, d’école, de chant, de musique, de quartiers, de communautés, de projets structurants, qui permettent de sublimer l’épanouissement personnel grâce au lien social.
Quand vous êtes derrière la caméra et que vous filmez, qu’est-ce qui est le plus important pour vous ?
J’ai une façon de filmer qui est assez intrusive, c’est-à-dire que je vais filmer au plus près des gens. J’essaie de me fondre au maximum dans le décor… Au point de me faire oublier et de disparaître ! Le fait d’arriver à devenir invisible me permet par exemple de capter des réflexions parfois dites à mi-voix, qui n’auraient sans doute pas été dites dans un contexte plus « académique », mais qui sont d’une sincérité éblouissante. C’est ça qui est le plus important pour moi.
Du coup, je filme énormément, des dizaines et des dizaines d’heures, et c’est grâce à cette moisson abondante qu’on peut arriver à un « bon » résultat. Filmer la vie, c’est ça : c’est être capable d’aller chercher les mots, les regards, les attitudes authentiques, ceux et celles qui sortent du plus profond des êtres.
Et c’est ensuite au montage que le « produit » final va être ciselé à partir de cette abondante matière première. Quand je dis « ciselé », c’est exactement ça, il s’agit d’un travail d’orfèvre, qui va consister à fabriquer ce qu’on appelle un « ours » dans le jargon du cinéma (une succession de séquences), dans lequel ensuite on taille et on affine, jusqu’à la concrétisation du « bijou » final. C’est un travail extrêmement délicat, qui va prendre des centaines d’heures.
Parmi tous vos films, si vous deviez n’en sauver que 3, ce serait lesquels ?
Chronologiquement, ce serait d’abord un duo de films « L’Estaque en chœur » et « De Erevan à l’Estaque », qui s’inscrit en ce qui me concerne dans un espace temporel de 9 ans.
Ce qui a guidé la construction de ces films, c’est la rencontre entre une soprano arménienne, Gayané Hovhannisyan, diva dans son pays, mais obligée de le fuir en raison de la guerre et de la famine pour sauver sa voix, et d’une Harmonie d’un quartier populaire de Marseille, l’Estaque, vieille de presque 2 siècles, dans laquelle la musique avait été, au fil du temps, remplacée par les parties de belote, les après-midi de loto et quelques autres activités.
De cette rencontre improbable va naître l’émouvant Chœur Lyrique des Enfants de l’Estaque, composé de gosses de toutes origines, de toutes cultures, de toutes religions, descendants de Kabyles, Arméniens, Italiens, Espagnols, Gitans, Africains… pour la presque totalité ignorant tout de la musique, et qui vont au bout du compte finir par chanter, et de quelle manière !, Verdi, Puccini, Bellini, Pergolèse, Mozart, Bizet,…
Le 3ème film, ce serait celui que je viens tout juste de terminer : « Clé de sol, clé de fa… Les clés de la vie ». L’idée de ce projet m’est venue du Venezuela : il y a là-bas un « Saint homme » (en dehors de toute connotation religieuse !), José-Antonio Abreu, qui est à l’origine d’un projet extraordinaire, « El Sistema », mis en place il y a plus de 45 ans.
José Antonio Abreu, qui a 75 ans aujourd’hui, est issu d’un milieu populaire, et il a eu une brillante carrière d’économiste, de chef d’orchestre et d’homme politique (il est devenu en 1988 ministre de la Culture). Dans un pays rongé par la pauvreté, la corruption et tout ce qui va avec, cet homme a voulu que tous les enfants vénézuéliens aient la même chance qui a été la sienne. Il a commencé à l’époque à équiper 11 enfants des « barrios » (favellas du Vénézuela) avec des instruments de musique… Par ce simple geste il va sauver la plupart d’entre eux, soit de la mort, soit de la prison.
45 ans plus tard, ces 11 enfants sont devenus 500.000 ! Oui, un demi-million d’enfants qui, en suivant le programme « El Sistema », certes, n’ont pas tous eu la même destinée musicale que celle de l’un des leurs, Gustavo Dudamel, un des plus grands chefs d’orchestre du moment … Mais il n’y a pas un seul cas d’illettrisme parmi eux. C’est tout simplement remarquable.
Ces dernières années, en France, des orchestres s’inspirant de la réussite « d’El Sistema », sont nés de la collaboration d’écoles ou de conservatoires de musique avec des écoles élémentaires ou des collèges, dans des quartiers où les élèves cumulent diverses formes de difficultés (scolaires, sociales, etc.). On a donné le nom « d’Orchestre à l’école » à ce type d’initiatives. Cela a été le cas à Marseille, dans le cadre d’un projet qui a réuni la Cité de la Musique, maître d’œuvre de l’opération, une classe de l’école élémentaire Korsec (Ecole en Zone d’Education Prioritaire) et une classe du collège Versailles.
« Clé de sol, clé de fa… Les clés de la vie » raconte l’histoire et la vie de ce projet, où l’on voit des gamins, complètement « hors-circuit » de la musique au départ, évoluer en orchestre avec l’instrument de musique qu’on leur a donné (à cordes pour une classe, à vent pour l’autre) comme si on leur donnait un véritable trésor (en réalité cela en est un !). Je les ai filmés sur une période de 3 ans, ce qui permet de voir leur évolution personnelle et collective, en formation d’orchestre… Le résultat est tout simplement stupéfiant, et je suis vraiment heureux de voir l’écho qui est donné à ce film.
Quel regard portez-vous sur le « regard des autres » sur vos réalisations ?
Bien sûr, pour moi ce regard est essentiel, que ce soit au moment du montage, ou au moment du visionnage par le public :
Dans la phase de montage, personnellement, j’ai souvent tendance, au bout d’un certain temps, à devenir « aveugle » sur mon travail… Parfois, plus j’avance et plus j’ai le sentiment de « pédaler dans la semoule », de ne plus savoir où je vais. C’est là qu’un regard extérieur peut s’avérer décisif pour m’aider à recouvrer la vue…
Quand à l’épreuve du visionnage de mes films par le public, je dirai que c’est un moment où s’entremêlent des sentiments de jouissance, de crainte, d’anxiété et de récompense. Un film n’existe que s’il est vu et que s’il arrive à interpeller l’imaginaire des autres, sinon il est mort. A cet instant, on oublie les centaines d’heures qu’on a passées à travailler, c’est l’exaltation qui règne, parce qu’on ne sait jamais comment on va être reçu… .
Et je sais que vous êtes homme de rugby… Quelle relation entretenez-vous avec lui ?
Ah, le rugby et moi, c’est une relation… Passion ! J’ai commencé le rugby au collège, et quand j’étais en fac de Sciences à Marseille il n’y avait pas d’équipe de rugby, alors je l’ai créée. On a été Champions d’Académie pendant 5 ans, et on a même fait une finale du Championnat de France Universitaire.
Aujourd’hui je suis un fidèle supporter de Toulon, car ce sont mes voisins. Mais j’ai aussi une grande tendresse pour Toulouse, car c’est la plus grande équipe française et européenne de tous les temps. Je suis également attentivement les résultats de Montpellier, et de Clermont, parce que j’aime leur jeu. Et comme je suis un lecteur assidu de Midi Olympique, je m’intéresse aussi depuis peu aux résultats de Saint-Vincent-de-Tyrosse et de Massy… !!!
Interview : Frédéric Poulet
Photos : : Portrait R. Cottet : FP / Photos enfants et musique : R. Cottet / Logo Midi Olympique : Wikipédia / Autres photos : Fotolia
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